Le spécialiste de l’équipement outdoor Patagonia a lancé en avril 2017 sa nouvelle collection de vêtements Clean Color. Reconnue pour ses innovations écologiques et sa stratégie de développement résolument orientée vers la préservation de l’environnement, la société propose une collection aux couleurs variées issues de colorants naturels issus de 96% de ressources renouvelables. Les couleurs sont obtenues à partir de feuilles de palmier et de mûrier, d’écorces de grenade, d’écorces d’agrumes, de coléoptères, d’excréments de vers à soie et de déchets de fruits …avec de belles nuances douces qui sont plus propres et plus sûres que leurs homologues obtenues à partir des colorants synthétiques couramment utilisés.
Encore une fois, le fait qu’un des leaders de son secteur s’engage sur une nouvelle voie plus écologique pour la teinture confirme une tendance de fond dans le domaine. Les derniers développements en termes de colorants naturels sont d’ailleurs nombreux. Ainsi, en 2015, une équipe de chercheurs issus de l’Université de Sao Paulo, de la Plant Environmental Intelligence et de la North Carolina State University est parvenue à exploiter un liquide de couleur marron foncé formé lors du traitement à la vapeur de déchets de bois d’eucalyptus pour teindre du coton par épuisement. Les coloris obtenus sont jaunâtre, beige et marron. L’intérêt de ce nouveau procédé est qu’il ne met en œuvre aucun agent de mordançage, que les solidités au lavage et au frottement seraient excellentes, et que l’eucalyptus est déjà largement exploité (notamment pour produire la fibre Tencel de Lenzing) ce qui constituerait un potentiel immense pour ces nouveaux colorants naturels. Les travaux auraient également permis de valider de bons résultats de teinture sur le polyamide 6.6 et sur la laine avec ces déchets colorés. Un projet de recherche européen baptisé Seacolors et dirigé par l’Institut de recherche textile espagnol AITEX a quant à lui permis, sur la période 2014-2016, de développer des colorants naturels à base d’algues, de valider la faisabilité technique, l’intérêt environnemental, et l’aspect économique du projet .
D’autres voies sont étudiées par des chercheurs à travers le monde, au-delà des colorants naturels déjà bien identifiés: en Tunisie, on étudie une méthode d’extraction d’un colorant naturel issu de marc de raisin (résidus secs résultant du pressurage ou du foulage des raisins) afin de pouvoir teindre de la soie ; au Canada et en Iran, on teste la teinture de la soie grâce à une plante baptisée delphinium ou pied d’alouette; au Koweit, on cherche à développer la teinture de fibres de laine et de coton avec un extrait acide de fleur d’Hibiscus ; en Inde, c’est la goyave qui intéresse les chercheurs , ainsi que le chêne pédonculé … La jeune entreprise suisse Local Colours a elle été créée par la designeuse Caroline Fourré avec pour objectif de réaliser des teintures à un niveau industriel grâce à la récupération de restes naturels de l’industrie alimentaire, des épluchures de fruits et de légumes.
La voie bactérienne est aussi exploitée. Des scientifiques de l’Université de l’Utah ont ainsi découvert en 2016 que les bactéries courantes Escherichia coli (E. coli) peuvent produire un colorant bleu profond connu sous le nom d’indigoidine . L’indigoidine générée est ensuite traitée et purifiée. L’Université a déposé et obtenu un brevet pour cette technologie, et a maintenant pour objectif sa commercialisation. En France, c’est PiLi Biotech , une jeune start-up qui a réalisé ses “preuves de concept” en faisant “pousser” de l’encre à partir de bactéries naturelles. La société maîtrise déjà la production de cinq colorants, des couleurs primaires. Une phase d’amorçage collaborative a été initiée en juillet 2016 avec l’installation de PILI dans les locaux très bien équipés de Toulouse White Biotechnology (TWB). L’ambition de PILI est de pouvoir commercialiser à grande échelle un premier colorant bleu biosourcé, renouvelable et biodégradable d’ici 2020 .
A un niveau plus industriel, l’entreprise Archroma a largement présenté lors du salon Denim by Première Vision 2016 sa gamme de colorants écologiques entièrement traçables, Earthcolors, basée sur la technologie NFC (Near Field Communication) . Celle-ci permet au consommateur de s’informer via le smartphone sur le processus de teinture utilisé. Earthcolors est fabriquée à partir d’une méthode brevetée par Archroma et permet de créer des nuances chaudes et naturelles. Ces colorants de haute performance sont synthétisés à partir de feuilles et les coquilles non-comestibles de noix. Tous les colorants sont traçables . L’association américaine Cotton Incorporated a par ailleurs collaboré avec Archroma pour développer ce qui semblerait être les premiers colorants textiles cellulosiques dérivés de la biomasse du coton, ce qui signifie qu’une technologie pour teindre le coton à partir du coton est maintenant disponible pour l’industrie mondiale du textile. Ce nouveau colorant pour les fibres cellulosiques est ainsi le dernier élément de la gamme « EarthColors » d’ Archroma présenté fin 2016. Dans un autre style, la société norvégienne Monocel a lancé fin 2016 une nouvelle gamme de fils cellulosiques dérivés des ressources naturelles et renouvelables (bambou) et teints à l’aide colorants végétaux naturels (issus de de racines médicinales asiatiques traditionnelles, de fruits et de fleurs), grâce aux ultrasons . Le procédé de teinture brevetée utilise des colorants végétaux liquides dans un process de « liaison » à ultrasons pour un haut niveau de stabilité de la couleur, avec des rendements améliorés en énergie et des réductions d’émissions polluantes réalisées grâce à des températures plus basses et des délais de teinture plus courts .
La teinture de certains supports textiles d’origine naturelle peut nécessiter l’usage de mordants, ou agents de mordançage, afin de mieux fixer certains types de colorants, appelés colorants à mordants, qui sont souvent des colorants végétaux, hormis l’indigo. L’étape de mordançage consiste à prétraiter le support avec un sel métallique avant d’opérer l’étape de teinture. Des chercheurs turcs ont travaillé sur l’utilisation de déchets agroalimentaires de coques d’amande comme agents mordants biosourcés. Des teintures comparatives ont été menées sur des tissus de laine mordançés avec ces déchets ou avec des agents conventionnels tels que l’alun de potassium, le sulfate de fer, le sulfate de cuivre, et le dichromate de potassium. La société italienne Italdenim a elle produit une nouvelle gamme de denim en utilisant du chitosan, issu de carapaces de crustacés, pour aider à fixer des colorants pigmentaires naturels sur la fibre de coton, grâce à un procédé développé par la société italienne Canepa . Le procédé nécessite cependant du potassium et des mordants de sulfate de fer pour fixer les colorants au coton du denim, même si Italdenim les revendique comme non-toxiques et certifiés GOTS (Global Organic Textile Standard ). Le fournisseur turc de denim Orta Anadolu a dévoilé en 2015 son “Vegan Denim ” naturellement teint. L’entreprise affirme que grâce à un nouveau processus de teinture breveté, elle est capable produit une bonne densité de couleur pour une gamme de denim indigo aux nuances naturelles, sans la nécessaire utilisation de mordants à base de métaux. Le procédé fonctionnerait non seulement pour la teinture à l’indigo naturel, mais également avec d’autres colorants naturels à partir d’extraits de plantes telles que la garance (rouge), les thés vert et noir et les coquilles de noix pour des tons doux et naturels.
En France, pour travailler sur l’industrialisation de la coloration naturelle, un projet baptisé Synergie Française a été lancé en 2016, avec la participation des designers de la société Kifabric , de trois sociétés textiles (LE FIL AMALRIC, ETS HENRI PLO, LE PASSE TRAME) et de la société GREEN‘ING (spécialiste des couleurs naturelles). L’objectif était de créer une gamme textile naturelle en 4 mois, du design aux produits finis, avec 100 000 m de fil mérinos d’Arles/chanvre produits et traités). Les représentants des acteurs du projet ont pu présenter en partie leur travail lors du dernier salon Made in France-Première Vision de mars 2017
Auteur : IFTH – 04/05/2017