Mode in Textile

Les enzymes, promesses d’une industrie textile plus “verte”?

L’annonce en début de semaine du dernier développement de la société Carbios a été largement relayée dans les médias. En effet, son procédé enzymatique permettant de dépolymériser les fibres de polyester des déchets textiles ouvre une nouvelle voie intéressante pour le recyclage.

Étudiés depuis de nombreuses années en laboratoire, les traitements enzymatiques interpellent l’industrie textile pour de nombreuses raisons: ils sont stéréospécifiques*, non toxiques, efficaces en petites quantités, respectueux de l’environnement et économes en ressources nécessaires (eau, énergie). De plus, les enzymes sont pratiquement applicables à toutes les étapes de fabrication, dès qu’il y a traitement chimique, des textiles.

Des enzymes bien connues du monde textile

Actuellement, les traitements enzymatiques sont déjà utilisés pour une variété de traitements effectués par voie humide. Parmi eux, plusieurs exemples peuvent êtes cités, comme le désencollage des tissus de coton utilisant des enzymes comme alternative écologique au désencollage chimique. Ou encore,  le “bio polishing”, un procédé de finition enzymatique qui améliore la qualité d’un tissu cellulosique en diminuant la tendance au boulochage et le flou des tissus. Le  blanchiment biologique du coton intégrant une enzyme (perhydrolase) permet lui de diminuer de moitié la perte de poids de coton  par rapport aux produits chimiques classiques au peroxyde d’hydrogène alcalin, avec dans le même temps une réduction des  consommations d’eau et d’énergie. Les traitements abrasifs traditionnellement appliqués sur le denim peuvent être remplacés par l’action des enzymes cellulases  pour la décoloration. Le décreusage de la soie peut être effectué sans dommages sur cette fragile matière en utilisant des enzymes protéolytiques . Etc.

Cependant,  les enzymes ont à l’heure actuelle une utilisation à l’échelle industrielle encore limitée, en raison des conditions extrêmes de pH et de température employées dans le traitement des textiles, susceptibles d’affaiblir voire de détériorer leurs propriétés et  donc leur action. L’identification de nouvelles enzymes capables de supporter des conditions industrielles, et des modifications dans les enzymes existantes ainsi que dans les processus enzymatiques appropriés, sont ainsi au cœur de nombreux projets de recherche appliquée dans le monde.

La recherche de solutions plus adaptées

Des chercheurs britanniques et néo-zélandais ont mis en œuvre des enzymes (de types protéase et laccase) pour proposer des solutions alternatives aux procédés conventionnels de coloration, décoloration et de réalisation de motifs décoratifs de surface. Ces travaux inaugurent de nouvelles voies de traitements d’ennoblissement pour la protéase, une enzyme utilisée traditionnellement pour modifier la laine, et la laccase, une enzyme qui catalyse des réactions d’oxydoréduction et est notamment utilisée pour la décoloration du denim. Ces effets innovants et respectueux de l’environnement ont été étudiés, sur des étoffes de laine, de polyamide et de polyester, dans le cadre du projet LEBIOTEX (Laser Enhanced Biotechnology for Textile Design), qui s’est déroulé entre 2012 et 2015, puis dans des travaux consécutifs.

Au sein de la Pennsylvania State University,  une équipe a mené une étude en 2016 portant sur l’auto-réparation potentielle de vêtements endommagés ou troués en les enduisant à l’aide d’une formulation à base de polyélectrolytes protéiniques  programmables, qui développent des propriétés d’auto réparation en présence d’eau. L’idée était de mettre au point une enduction fine et transparente qui permettrait de réparer les défauts microscopiques et macroscopiques de vêtements lors de cycles de lavage, afin de les rendre réutilisables. La mise en œuvre d’une enzyme spécifique micro-encapsulée dans cette enduction ouvrirait en outre la voie à des vêtements capables de protéger une personne contre une exposition accidentelle à des produits chimiques, par exemple des tenues de combat, des combinaisons de protection contre les produits phytosanitaires pour les agriculteurs, ou encore des EPI pour travailleurs opérant en environnement toxique.

Côté matière, la préparation d’un des précurseurs pétrosourcés  possibles des polyamides, le lactame, pourrait être effectuée par fermentation, grâce à une enzyme microbienne (acyl-CoA ligase), une voie moins impactante sur l’environnement et moins consommatrice d’énergie. Des chercheurs de l’U.S. Department of Energy Joint BioEnergy Institute, et leurs partenaires, ont publié dans la revue ACS Synthetic Biology  de mai 2017 la preuve du concept de ce procédé biologique innovant.

Côté recyclage, l’année dernière, des chercheurs du Kunming Institute of Botany de la Chinese Academy of Sciences, ont découvert qu’un champignon serait capable de dégrader le polyuréthane (PUR), matière plastique jusqu’à maintenant non dégradable. Les chercheurs ont mis en évidence que les enzymes secrétées par ce mycélium sont capables de briser les liaisons entres les polymères constituant le polyuréthane, dans différents milieux de culture : la culture sur plaque, la culture liquide et la technique d’enfouissement dans le sol. D’autres facteurs peuvent influencer la performance comme le pH du milieu ou la température.  Jusqu’alors non biodégradable, cette découverte pourrait ouvrir la voie à un meilleur contrôle de la pollution des eaux et des sols par le polyuréthane.

Plus récemment, une équipe de scientifiques de l’Université de Californie a annoncé avoir développé une méthode plus écologique pour produire la teinte indigo utilisée pour le tissu denim des jeans, en utilisant des bactéries cultivées en laboratoire et en intégrant une enzyme lors du process de fabrication.

En Europe, le  projet Chito Tex a pour objectif  est le développement de la chitine d’insecte en tant que source de chitine nouvelle et durable (autre que celle actuelle provenant des carapaces de crustacés) pour une utilisation en tant que revêtement de surface fonctionnel pour des fils et  surfaces textiles, en particulier pour des applications techniques. La société EUCODIS Bioscience se concentre ici sur le développement et la fourniture de nouvelles enzymes pour la conversion biochimique de la chitine en chitosane et sa modification en aval en revêtement. EUCODIS Bioscience devrait ainsi étendre son portefeuille d’enzymes dans un domaine entièrement nouveau d’enzymes modifiant la chitine et le chitosane , pour des applications textiles. Initié en 2015, les résultats du projet devraient arriver cette année.

Les dernières nouveautés  du marché

En 2013, Invista, un des plus grands producteurs intégrés de polymères et de fibres au monde, conclut un accord avec un start-up spécialisée dans les biotechnologies Arzeda Corp. , pour le développement de nouvelles technologies permettant de nouveaux procédés bio-dérivés. En 2014,  Invista annonce une nouvelle collaboration, cette fois avec et EUCODIS Bioscience, autour de l’ingénierie des enzymes afin de développer des procédés bio-dérivés pour la production de produits chimiques industriels. En 2016, l’Office des brevets et des marques des États-Unis accorde à Invista  un brevet américain pour une technologie utilisant des matières premières biosourcées, la technologie « Archytas » d’Arzeda qui permet de bâtir des voies métaboliques et de designer des enzymes synthétiques pour l’obtention de molécules chimiques par voie biotechnologique en utilisant le principe de la fermentation de sucre (ou autre substrat) sur levure ou bactérie modifiées.

DuPont Industrial Biosciences  a annoncé en mai 2017, de nouvelles découvertes autour de l’enzyme détergente liquide DuPont Revitalenz 200. Une étude récente de soin des tissus réalisée par DuPont Industrial Biosciences a souligné l’insatisfaction importante des consommateurs avec le boulochage et la décoloration des couleurs sur les vêtements après avoir utilisé la plupart des détergents. En réponse, DuPont a développé Revitalenz 200, la seule enzyme cellulase sur le marché qui revendique offrir trois avantages en un seul produit: la prévention du boulochage ; la compatibilité avec les enzymes protéases; et une capacité avérée à maintenir la blancheur des vêtements.

En Italie, Garmon Chemicals est un pionnier des applications enzymatiques dans le traitement des vêtements.  En 2016,  Garmon Chemicals a commercialisé nimbus , une gamme originale d’auxiliaires chimiques et de colorants intégrant des enzymes, spécifiquement sélectionnés pour être nébulisés dans des systèmes fermés (jusqu’à 80% d’économies d’eau et d’économies d’énergie importantes). En 2017, la société a lancé geopower nps ™ , un composé enzymatique  innovant qui  remplace efficacement la pierre ponce pour le délavage  du denim .

Le géant danois des biotechnologies Novozymes** a commandé en 2016 un sondage réalisé auprès de 310 acheteurs allemands et français permettant d’explorer l’impact d’un bio traitement (anti boulochage…) sur leurs décisions d’achat de vêtements. Les résultats sont clairs: les consommateurs déclarent accepter de payer plus cher pour obtenir les avantages du bio traitement.

Le marché mondial des enzymes industrielles a été évalué à environ 4,62 milliards USD en 2015 (source: Gran View Research). Le segment des applications techniques domine le marché mondial des enzymes industrielles, avec une part de marché de plus de 48% en 2015. L’utilisation croissante des enzymes pour des applications techniques (industries du papier, des détergents, des biocarburants, du textile…) devrait assurer une croissance  annuelle moyenne du segment estimée de plus de 7 % sur une période de 2016 à 2024.

 

Sources: IFTH – 16/03/18

*Une réaction chimique stéréospécifique est “une réaction dans laquelle un substrat de configuration déterminée et unique est transformé en un produit de configuration déterminée et unique”

** Avec une part de marché de 48% dans les enzymes industrielles, Novozymes est un leader qui fournit des solutions biologiques pour les industrie chimiques, alimentaires, textiles dans 130 pays.