« Matériau d’avenir », « révolution », « matériau miracle », …les termes employés à propos du graphène sont depuis une dizaine d’années flatteurs et prometteurs de nouvelles voies d’innovation pour un large spectre d’applications. Qu’en est-il aujourd’hui dans le domaine textile ? Tour d’horizon de plusieurs innovations annoncées au cours des trois dernières années
Le graphène, qui a été identifié pour la première fois en 2004, est une couche cristalline d’atomes de carbone, dont la superposition de couches (feuillets) forme le graphite. Résistance mécanique, conductivité, transparence, résistance thermique, le graphène possède des caractéristiques sur lesquelles des milliers de chercheurs focalisent leur attention depuis une dizaine d’années, en restant cependant confrontés à un problème initial : la difficulté de produire en masse ce matériau . Depuis quelques années se multiplient les projets, les initiatives, et les premiers produits finis sortent sur le marché. L’intérêt du graphène semble particulièrement prouvé pour le développement d’objets connectés, de textiles intelligents, et dans le domaine des composites. En 2013, la Commission Européenne a investi un milliard d’euros dans le projet Graphene Flagship qui durera plus de 10 ans, afin de développer des applications industrielles à base de graphène.
Côté innovations, en 2014 une équipe américano-japonaise de l’Université de Shinshu et de la Penn State University a conçu une méthode simple pour fabriquer à partir de « flocons » de graphène des fibres d’oxyde de graphène très résistantes et étirables. Des fils peuvent être fabriqués à partir de telles fibres, qui sont capables de concurrencer les fibres de carbone conventionnelles ; après désoxygénation, les fils deviennent électro conducteurs et ainsi être utilisés comme capteurs performants. Des chercheurs suisses de l’ETH Zurich et de l’Empa ont quant à eux développé une nano-membrane poreuse, extrêmement légère et respirante, constituée de 2 couches de graphène pour des vêtement fonctionnels ou de la filtration. Et des scientifiques australiens et irlandais annonçaient eux aussi en 2014 un nouveau type de fil résistant et flexible en oxyde de graphène, qui pourrait être idéal pour les textiles «intelligents».
En 2015 a été initié le projet européen GRAFAT (GRAphene for Functionalization of Advanced Textiles) pour étudier les potentialités du graphène dans le secteur textile, notamment pour les vêtements de protection, réunissant dans le consortium l’Institut Hohenstein, la société IoLiTec Ionic Liquids Technologies GmbH, la société Fuchshuber Techno-Tex GmbH, Centexbel et la société Soieries Elite. En France a également démarré le projet GraphTEX, autour de deux équipes de l’ICPEES et de l’IPCMS de l’Université de Strasbourg, de l’IFTH et la société MDB TEXINOV, avec pour objectif de développer des textiles catalytiques possédant une protection universelle envers tous les gaz de combat organophosphorés neurotoxiques et des pesticides, pour des équipements de protection. Un consortium de scientifiques de l’Université d’Exeter au Royaume-Uni, du Centexbel, de l’INESC-MN de Lisbonne, et les universités de Lisbonne et Aveiro au Portugal annonçait avoir développé le premier exemple d’une électrode textile directement intégrée dans un fil. Les chercheurs ont réussi à transférer une monocouche de graphène sur une fibre polypropylène classique, ouvrant la voie au développement de textiles intelligents. Autre développement, des scientifiques de l’Electronics and Telecommunications Research Institute (ETRI) et de la Konkuk University en République de Corée ont développé grâce à un procédé simple des tissus enduits de graphène capables de détecter la présence de gaz dangereux dans l’air, en allumant une lumière LED qui alerte son utilisateur. La société britannique Tamicare a quant à elle développé et breveté un système unique de production de masse de textiles imprimés 3D, baptisé Cosyflex . Outre des textiles entièrement personnalisables, Cosyflex permettrait également d’imprimer des textiles intelligents en imprimant les capteurs et le câblage avec le reste du vêtement dans un process unique, grâce à l’ajout de graphène lors de ce processus. Du côté des composites, les sociétés israélienne SP Nano Ltd et américaine Graphene Technologies Inc. ont reçu une subvention de 850 000 $ de la part de la fondation BIRD (Bi-national Industrial Research & Development) pour développer des encollages particuliers incorporant du graphène pour améliorer l’intégration des fibres de carbone dans des matrices polymères. La société américaine Angstron Materials propose quant à elle à l’échelle commerciale des poudres de graphène, des suspensions, des joncs, des mélanges-maîtres polymériques (thermoplastiques et élastomères) renforcés de graphène, et autres matériaux thermodurcissables à base de graphène.
L’année 2016 a elle aussi été témoin de plusieurs avancées technologiques, et d’un début d’industrialisation des procédés. Un étudiant de la Cheng Shiu University à Taiwan a travaillé sur processus simple utilisant une encre à base de graphène et de PEDOT: PSS (poly (3,4-éthylènedioxythiophène) polystyrène sulfonate) pour la fabrication d’une mémoire non volatile sur la base d’un fil de polyamide hautement étirable, pour le développement de textiles électroniques. Des chercheurs chinois de la Hebei University ont créé des électrodes souples et sèches à base de graphène sur un support souple en polyéthylène téréphtalate, pour un système portable et sans fil d’électrocardiogramme. En Iran a été développé une nouvelle méthode de fonctionnalisation de tissus de coton mettant en œuvre des nanocomposites d’oxyde de graphène et de dioxyde de titane, permettant d’obtenir des fonctionnalités d’auto-nettoyage, de résistance électrique, d’effet anti-UV et de propriétés antimicrobiennes. La société italienne Directa Plus S.p.A. un des plus grands producteurs et fournisseurs au monde de produits intégrant des graphènes a reçu en avril 2016, une certification internationale de la part de l’agence d’expertise européenne Farcoderm S.r.l. stipulant que tous ses produits à base de graphène présentent un caractère de non-toxicité par rapport à la peau humaine. En parallèle elle a obtenu une accréditation ISO 2001 :2015 pour la production et la commercialisation de nanoplaquettes pures de graphène et de produits à base de graphène. Le spécialiste du vêtement outdoor Colmar a collaboré avec Directa Plus pour lancer lors du salon ISPO de janvier 2016 une nouvelle collection de vêtements dédiés au ski représentant la première intégration du graphène dans le domaine du sportswear. L’utilisation de son produit, le Graphene Plus (G+), dérivé de graphite, améliore les performances au profit des athlètes, avec pour caractéristiques principales: régulation de la température et confort thermique, effet électrostatique, bactériostatique, réduction du frottement (eau, air). Directa plus SpA, a par ailleurs acquis une participation de 60% dans le capital social de la société italienne Osmotek, spécialiste de la commercialisation et la distribution des membranes textiles pour le sportswear, le workwear, la mode, et les applications militaires. Dans un autre domaine d’application, la société TenCate Geosynthetics s’est rapproché de l’australien Imagine Intelligent Materials qui développe des revêtements à base de graphène pour des fibres et textiles à usages industriels, et qui collabore déjà avec Geofabrics Australasia, fabricant de géotextiles sous la célèbre marque Bidim depuis 1978, pour évaluer la faisabilité et le potentiel de géotextiles non tissés fonctionnalisés à système de détection de fuite. Peu coûteux et facile à fabrique, un capteur innovant à base d’encre piézo-électrique à base de graphène a été fabriqué par Haydale Graphene Industries Plc en collaboration avec le Centre gallois d’impression et de revêtement (WCPC) de l’Université de Swansea pour des applications de type textiles intelligents. Côté matières, une méthode pour déposer des encres à base de graphène sur du coton, développée par des chercheurs de l’Université de Cambridge et de l’Université de Jiangnan, pourrait permettre la création d’électronique flexible et portable. Et des scientifiques chinois ont découvert qu’un apport en graphène et nanotubes de carbone dans l’alimentation de vers à soie permettait de produire une soie beaucoup plus résistante et potentiellement capable de conduire l’électricité, pour des vêtements de protection intelligents par exemple. Encore compliqué et coûteux à produire, le graphène a par ailleurs inspiré une équipe de chercheurs français du Centre de Recherche Paul Pascal (CNRS, université de Bordeaux) et du laboratoire Charles Coulomb (CNRS, université de Montpellier) qui a imaginé une méthode de production plus économique par voie liquide pour créer une « eau de graphène », permettant d’exploiter le matériau de la même façon que du graphène classique. La société japonaise Osaka Gas Chemicals Co., Ltd annonce quant à elle être parvenu en 2016 à diviser par deux son coût de production du graphène.
Enfin, 2017 s’annonce d’ores et déjà comme une année riche d’enseignements et d’innovations. Ainsi, les chercheurs australiens de l’Organisation de recherche scientifique et industrielle du Commonwealth (CSIRO) propose une méthode baptisée «GraphAir» pour produire du graphène rapidement et à moindre coût à partir d’huile organique, notamment l’huile de soja. Le CSIRO cherche des partenaires industriels pour trouver des moyens uniques d’utiliser ce graphène. Une équipe de chercheurs de l’Université de Glasgow a découvert le moyen de créer de grandes feuilles de graphène en utilisant le même type de cuivre pas cher que celui utilisé pour fabriquer des batteries lithium-ion. La société Directa Plus collabore pour la première fois avec Eurojersey, spécialiste italien des tissus techniques sous sa marque Sensitive Fabrics, pour produire une gamme de tissus contenant des produits à base de graphène , présentée lors de l’ISPO 2017 de Munich. Directa Plus a par ailleurs reçu une subvention du Fonds européen de développement régional (FEDER) suite à un appel d’offres public lancé par le gouvernement régional de Lombardie ; cette subvention est destinée à un projet pour l’innovation technologique dans les tissus intelligents, Advanced Textiles et Fashion (GRATA). Le projet est une collaboration entre Directa Plus, Novaresin, Soliani et l’université Politecnico de Milan, avec Directa Plus en tant que chef de projet. Enfin côté mode, la marque londonienne CuteCircuit spécialisée dans la fashion tech a présenté en janvier 2017 et pour la première fois une robe créée en collaboration avec le National Graphene Institute à l’Université de Manchester, capable de changer de couleur en fonction des émotions de la personne qui la porte. Elaborée en polyamide, cette robe comporte des capteurs de mouvements de respiration qui sont reliés, grâce à des éléments électro conducteurs en graphène, à un microprocesseur qui va gérer l’activation de micro-LEDs. Lorsque les amplitudes de la respiration seront grandes, les LEDs vont varier du violet au turquoise, et les couleurs fluctueront entre l’orange au le vert pour des amplitudes plus faibles. Dernière annonce en date, des ingénieurs de l’Université de Glasgow, ayant développé auparavant une peau électronique pour les mains prothétiques à base de graphène, ont trouvé un moyen d’utiliser certaines des propriétés physiques remarquables du graphène pour utiliser l’énergie du soleil et alimenter une peau artificielle en énergie.
Auteur : IFTH – 03/04/2017