Évoquée dans notre article sur la Chine et sa nouvelle route de la soie, la place de l’Ethiopie comme « nouvelle usine du monde » n’est évidemment pas sans conséquences sur le pays, ses populations mais aussi les fabricants ayant choisi de s’implanter dans le second pays d’Afrique le plus peuple.
Une étude réalisée par le Stern Centre for Business and Human Rights de la prestigieuse New York University s’est penchée sur le parc industriel de Hawassa, situés à quelques kilomètres de la capitale Addis-Abeba et qui emploie plus de 25 000 travailleurs et travailleuses.
Le parc industriel d’Hawassa a été inauguré en 2015, et le gouvernement éthiopien a annoncé sa volonté d’ouvrir 30 parcs du même type d’ici 2025. Cependant, dans un contexte particulier d’apaisement politique, les grèves des travailleurs sont cependant de plus en plus courantes – ces derniers remettant en cause les salaires, trop bas. Evoqué par quelques quotidiens nationaux, le rapport fait en effet état des salaires très bas des ouvriers et ouvrières, payés 26 dollars par mois, contre 95 dollars au Bangladesh ou encore 326 dollars en Chine, et qui demeurent insuffisants pour la vaste majorité des travailleurs.
En résulte une productivité médiocre, des grèves à répétition et un fort turn-over les salariés n’hésitant pas à faire grèves et à démissionner face aux salaires qui sont les plus faibles au monde – et par conséquent les plus attractifs pour les fabricants.
Le rapport identifie d’autres problèmes tels que le manque d’efficacité, les différends culturels qui pèsent sur les méthodes de management, et formule plusieurs recommandations à destination du gouvernement d’une part et des fabricants d’autre part.
Selon le rapport, il incombe au gouvernement de régler les tensions entre ethnies à Hawassa ainsi que dans les environs des autres parcs industriels afin de les sécuriser. Il incombe également au gouvernement de diversifier les activités des parcs, afin d’en faire des lieux pérenne de production. Le rapport préconise également – et c’est peut-être la mesure la plus importante – d’instaurer un salaire minimum, mais progressivement (“afin de ne pas éloigner les fabricants”) et enfin de rationaliser les infrastructures et processus administratifs. En somme il incombe au gouvernement d’encadrer légalement et structurellement l’activité des entreprises qui s’implantent dans le pays.
Les entreprises quant à elles sont conseillées de s’aligner sur le business model éthiopien et de développer des partenariats solides et de longue durée, de construire des logements décents à destination des ouvriers, de faire bénéficier les ouvriers de formations, de faire accéder plus d’Ethiopiens à des postes de management, notamment afin d’alléger les tensions entre managers issus des pays asiatiques et la main-d’oeuvre locale, et enfin encourager la création de syndicats afin de créer un dialogue avec les ouvriers – il s’agit alors pour les fabricants de prendre en charge toute une série d’aspects qui dépassent le simple cadre de la production, et d’appliquer les normes RSE qu’ils pratiquent à leur main d’oeuvre : bien-être, formations, sentiments d’appartenance entre autres.
Si le texte n’est pas destinée à la main-d’oeuvre évoquée tout au long des mesures, il pose ainsi le problème du regard porté sur les populations d’un pays qui n’a pas connu la colonisation et qui s’est industrialisé différemment.
Le rapport pose une question en réalité : l’Ethiopie doit-elle suivre la trajectoire de la Chine ou du Bangladesh en matière de développement ? De manière plus large le problème demeure de savoir dans quelles conditions cette industrialisation nouvelle va améliorer le bien-être des travailleurs et permettre un développement économique certain pour le pays, alors que ce modèle qui fut celui de la Chine, et demeure celui d’un grand nombre de pays montre peu à peu ses limites en matière environnementale et économique.
-03/06/19-