Si la technologie et l’innovation sont au cœur de son activité, l’exigence, la qualité, la créativité et la capacité d’adaptation font partie de l’ADN de Valtex Group. Cette PME française créée il y a quarante ans et labellisée Entreprise du patrimoine vivant est aujourd’hui l’une des seules spécialistes de l’impression numérique sur tissus naturels pour la petite série en Europe. Fort de ces atouts, le Groupe a su se transformer pour toujours mieux adapter son offre aux besoins d’un marché en constante évolution, souvent sous contrainte d’une économie en crise, toujours vers plus de personnalisation et de satisfaction client.
Mais c’est avant tout la confiance et l’humain qui, en filigrane, restent le moteur de cette entreprise familiale.
En écho à ces valeurs auxquelles elle croit profondément, Marie-Pierre Dumaine a choisi d’apprendre aux côtés de son père, fondateur du Groupe, et a repris la direction générale de l’entreprise il y a vingt ans maintenant. Fervente promotrice du « fabriqué en France », d’un nouveau modèle social et environnemental plus pragmatique, plus collaboratif, elle a accompagné et parfois impulsé la transformation de Valtex d’une activité historiquement dédiée à la gravure de cylindres pour l’impression textile, à l’intégration de l’impression numérique jusqu’à la création d’une marque et à la mise en place d’un incubateur. Valtex Group compte ainsi aujourd’hui quatre entités : Michel Graveur, dédié aux cylindres pour l’impression rotative ; Grain de Couleur, spécialiste dans l’impression numérique sur matières naturelles ; Un Rendez-vous Français, marque propre et espace de vente en ligne ; et Label Graine, nouvel espace de création, de conception et de fabrication.
Echanger avec Marie-Pierre Dumaine permet de mieux comprendre les défis d’une dirigeante qui se bat au quotidien pour valoriser son activité, ses collaborateurs, et pour bousculer les codes de l’industrie textile française. Avec son énergie communicative et sa bienveillance, elle a accepté de revenir pour nous sur ce qui fait la force de Valtex Group, sur les difficultés parfois rencontrées et sur les atouts dont elle dispose pour construire le modèle qu’elle imagine pour demain.
L’année 2020 sera forcément une année un peu atypique pour les industriels, est-il possible de dresser un premier bilan provisoire chez Valtex Group face à la crise sanitaire ?
Nous avons eu la chance d’être situés en dehors des zones urbanisées, plus à risque lors du premier confinement, et avons donc pu adapter notre fonctionnement relativement facilement dès l’annonce du confinement. Si quelques-uns de mes collaborateurs ont pu télétravailler, la plupart de nos métiers industriels nécessitent une présence auprès des machines. Notre équipe a pu œuvrer dans les conditions adaptées aux gestes barrières car nos locaux sont vastes, avec dès le mois d’avril le lancement d’une fabrication de masques en petites et moyennes séries.
Lors du déconfinement début mai, plusieurs clients nous ont sollicité pour continuer à proposer des masques. Nous avons donc décidé de mobiliser une petite équipe sur cette fabrication, avec le souci de considérer l’utilisation du masque sur le long terme, et de le créer, l’imprimer sur des tissus adaptés, le confectionner comme un accessoire de mode en plus de son effet barrière.
Evidemment, cette crise sanitaire impacte notre chiffre d’affaires, et nous avons fait appel aux différentes aides gouvernementales disponibles afin de limiter autant que possible ses conséquences économiques. J’essaie cependant de vivre cela comme une période de transition, révélatrice de nos capacités à nous transformer et à optimiser nos modes de fonctionnement. Sans avoir jamais imaginé une pandémie, il était sans aucun doute nécessaire qu’une onde de choc vienne remettre totalement en question nos façons de vivre, d’acheter, de consommer, de travailler.
Cette envie de créer, de fonctionner « autrement », elle fait finalement quasiment partie de l’ADN de l’entreprise ?
Il est vrai qu’au sein d’une entreprise familiale comme la nôtre, nous avons singulièrement transformé notre activité au cours des vingt dernières années. Mon père avait créé une entreprise autour d’un métier assez spécifique, la gravure de cylindres plutôt destinés à l’impression textile en grande quantité. Dans les années 2000, la diversification a été opérée vers l’impression numérique pour laquelle nous avons créé Grain de Couleur, et avons ensuite lancé notre propre collection de textile de décoration, baptisée Un Rendez-Vous Français.
Tout au long de ces dernières années, j’ai eu l’occasion de voyager, en participant notamment jusqu’à sept salons par an en France et à l’international pour promouvoir notre activité, et je n’ai que pu constater l’uniformisation grandissante des collections des marques textiles dans toutes les vitrines du monde. Est né de ce constat un besoin quasi viscéral de lutter à notre échelle contre l’homogénéité des produits, de proposer autre chose aux consommateurs.
Forts de cette expérience, en 2018, nous avons lancé Label Graine, avec le souhait de mettre à disposition de créateurs et créatrices, de tous âges et de tous horizons, nos ressources et nos compétences. Nous accompagnons toutes ces personnes qui souhaitent créer de nouvelles collections de vêtements, de décoration, de linge de maison, en leur ouvrant les portes de l’usine, de notre réseau, en échangeant sur leurs projets, sur leurs besoins en particulier pour fabriquer en circuit court, de faire de l’upcycling…Ce sont des « petites graines » qui nous sollicitent et que nous aidons de notre mieux à éclore !
Investir dans l’impression numérique a été un véritable choix stratégique, qu’est-ce qui vous a décidé à intégrer cette technologie ?
Nos premières impressions numériques datent d’une vingtaine d’années, à l’initiative de mon père qui avait parfaitement compris la nouvelle demande de créativité, de renouveau de l’époque. Lors de l’arrivée des imprimantes numériques industrielles, il a décidé d’investir pour être en capacité de proposer rapidement aux clients un plus grand choix de solutions, et avec la possibilité de raccourcir fortement le délai de fabrication.
Un process permettant de libérer la créativité, c’était la meilleure option pour se mettre au service d’un marché en évolution. Pourtant à l’époque nous passions pour des originaux ! Le risque bien que calculé était grand, car au-delà du financement il a fallu attendre que la ligne de production fonctionne, que les collaborateurs soient formés à son fonctionnement. Mais le pari a été relevé, et je souhaite continuer à proposer à travers de petites et moyennes séries cette flexibilité, cette agilité à nos clients.
Une crise agit souvent comme un révélateur de tendances fortes, comme la personnalisation, que vous aviez donc anticipé. Quelles autres tendances devraient selon vous être soutenues, renforcées après cette crise ?
L’impression numérique est l’un des fondements de la personnalisation dans le secteur textile. En ce sens, je crois que mon père était assez visionnaire, puisqu’il envisageait les évolutions du marché non pas comme des menaces mais comme des opportunités de transformation, et qu’il a œuvré pour que les investissements faits au sein du Groupe nous mènent toujours au plus près du besoin du client en tant qu’individu, en autorisant plus de créativité, de service personnalisé.
Je souhaiterais pouvoir renforcer encore cette capacité à être force de proposition. J’ai par le passé sollicité d’autres industriels français de la filière textile afin de travailler et être plus efficaces ensemble au niveau local, en mutualisant nos compétences, nos outils de production, en investissant ensemble dans de nouvelles technologies, afin de se créer de nouvelles opportunités de développement.
En ce sens, la crise du coronavirus a permis de casser un peu les codes et les frontières, peut-être sera-t-elle un déclic pour passer ce cap ? Nous l’avons constaté ces dernières semaines, il est possible de faire autrement, de nous transformer. Il est temps que les valeurs financières ne soient plus au cœur de nos relations de travail, la négociation ne doit plus être systématique au seul titre que nous sommes fournisseurs, et les acheteurs doivent accepter le juste prix du produit, rémunérateur d’un travail de qualité, de créativité, d’innovation.
Par ailleurs, la qualité doit être plus lisible, plus facilement accessible pour un consommateur qui souhaiterait faire évoluer ses actes d’achats. Or si les grandes marques ont les capacités financières pour communiquer au plus près des consommateurs, ce n’est pas le cas d’une grande majorité d’industriels du secteur textile habillement. Nous communiquons de façon ponctuelle car nous n’avons ni le temps ni les compétences ni les moyens d’investir suffisamment. Si cette crise peut participer à rééquilibrer quelque peu les forces, à faire reconnaître nos compétences et notre utilité au yeux du grand public, mais aussi des organismes publics ou des grands donneurs d’ordres, alors c’est un aspect positif à prendre en compte. Car notre relative petite taille ne nous permettra pas d’accéder à certaines aides, notamment celles dédiées à la transition numérique. Unissons-nous pour communiquer et rendre les projets d’avenir possibles. Si la crise permet de réunir des entreprises autour d’un objectif commun, alors nous la transformerons en un développement positif et concret.
La place de l’humain est au cœur de l’ADN de Valtex Group, mais a également été remise plus largement en lumière grâce à cette crise ; il y a-t-il eu de nouvelles prises de consciences au sein des équipes, des changements, des évolutions ?
J’ai la chance d’avoir une équipe exceptionnelle ! La plupart de mes collaborateurs/trices ont plus de vingt ans d’ancienneté dans le Groupe, certains ont connu les périodes où celui-ci comptait plus d’une centaine de personnes dédiées à un seul métier, la fabrication de cylindres, et certaines vivent encore l’aventure à mes côtés alors que les effectifs ont été malheureusement divisés avec les crises successives du secteur, et alors que nous proposons quatre métiers différents aujourd’hui. Cela magnifie chaque histoire, chacun(e) a dû se réinventer et s’adapter pour continuer à être efficace, et c’est notre force, une force de proposition pour que ce Groupe aux multiples facettes existe aujourd’hui.
Chacun joue son rôle dans l’entreprise, prend ses responsabilités, et les initiatives sont encouragées. J’apprécie de pouvoir manager mes équipes en toute confiance. Durant la crise, nous étions heureux de nous retrouver, je dirais même que c’était important de le faire, de réfléchir, de se soutenir en interne autant que nous le faisions pour l’externe avec les masques. Et il y a eu une prise de conscience de la valeur réelle de nos métiers textiles. Tout le monde a une place, un rôle à jouer. Notre stratégie d’entreprise tournée vers le made in France, la fabrication locale, a finalement été validée par cette perturbation inattendue. Nous restons donc optimistes pour la relance. Et quoi de plus parlant que ce regain d’intérêt porté aux couturières en France !
Parlons aussi maîtrise et transmissions des savoir-faire et des savoirs, polyvalence des métiers. La création de Label Graine concrétise-t-elle votre envie d’agir, d’en faire une priorité dans ce domaine ? Au-delà d’être des experts de votre domaine, il vous était devenu essentiel d’être aussi des « passeurs de savoirs » ?
Le savoir ou le savoir-faire n’existe pas sans l’humain. Chacun l’a en lui, que ce soit inné ou acquis, et nous souhaitions depuis quelque temps mettre en évidence que l’on ne perd pas ce savoir ou ce savoir-faire en le montrant. Ce n’est pas parce que vous montrez votre manière de coudre, de dessiner…que cela vous échappe, au contraire l’échange vous enrichit !
Label Graine est un vrai pari sur l’avenir, et après ces deux dernières années de préparation et de lancement du projet, je suis aujourd’hui encore plus fortement persuadée de son intérêt et de sa justesse. Nous recevons des créateurs qui acceptent d’écouter les conseils de mon équipe, qui elle s’enrichit en rencontrant et échangeant avec ce monde « extérieur » en mutation. Elle est fière de transmettre son expérience, et innove aussi pour répondre à de nouveaux besoins.
Il ne s’agit plus de créer de l’activité pour le « business », mais d’imaginer et construire en commun le monde dans lequel nous souhaitons vivre demain. Et chacun est gagnant. La petite graine qui aura fleurit à nos côtés parlera autour d’elle de Label Graine ou de Grain de Couleur, et donnera peut-être envie à d’autres de nous rejoindre dans ce cercle vertueux, et ainsi de suite.
Pourquoi avoir choisi de franchir le pas il y a une dizaine d’années de lancer votre propre marque « Un Rendez-vous Français », sur un marché textile déjà fragilisé ?
L’envie de créer notre propre collection était présente pour permettre au client de mieux apprécier le champ des possibilités offertes par l’impression numérique. Nous consacrions déjà beaucoup de temps aux salons comme Maison &Objet, mais avoir cette marque propre vendue en ligne et élaborée en collaboration avec des créateurs freelances, a généré un nouveau chiffre d’affaires, et permis de gagner un peu d’indépendance par rapport aux demandes clients-fournisseurs parfois compliquées dans un environnement rendu difficile par la crise économique de l’époque.
La marque propre nous permet de disposer d’une vitrine et d’une boutique en ligne, de générer de l’activité au sein de Grain de Couleur car de nouveaux clients attirés par nos produits souhaitent tester l’impression numérique pour leurs propres collections. Elle nous permet enfin de pouvoir réduire drastiquement notre investissement et notre présence sur les salons physiques tout en communiquant sur notre savoir-faire français notamment à l’international.
Et cela fonctionne ! Nous avons par exemple accueilli il y a quelques mois et durant une semaine neuf américaines au sein de Label Graine, désireuses de découvrir à la fois le territoire français, le savoir-faire et de créer un vêtement imprimé au sein de notre incubateur. Une belle récompense et la perspective de nouvelles rencontres à venir !
Les caractéristiques écologiques et durables sont nouvellement prisées par les acteurs de la mode, de la décoration, du luxe. Vous êtes spécialistes de l’impression sur fibres naturelles, est-ce que vous constatez une demande du marché pour des matières plus durables ?
Nous avons imaginé Grain de Couleur comme une solution différenciante. Pas question d’aller faire de l’impression numérique seulement sur des fibres synthétiques pour se retrouver en concurrence sur les volumes et sur les prix avec d’autres acteurs déjà positionnés sur ce créneau. L’impression réactive sur fibres naturelles est un process plus délicat, plus long, et plus coûteux, mais il permet de privilégier la qualité plus que la quantité, la personnalisation avec les petites et moyennes séries, quasiment à la demande, et sur ce créneau nous avons peu de concurrence en France et en Europe.
La demande sur la traçabilité et la provenance du tissu est celle qui se fait la plus forte ces derniers temps. D’où viennent le coton, le coton bio, le lin, la soie…sont des questions récurrentes sur ces trois matières les plus sollicitées. Et la durabilité étant au cœur de notre stratégie, nous proposons par ailleurs des solutions en fibres synthétiques recyclées, en cohérence avec nos valeurs.
A l’heure actuelle, nous pouvons nous assurer de la traçabilité de nos produits, par exemple tous nos tissus coton et lin sont issus d’usines de tissage françaises, les tissus de soie viennent d’Italie…Le client demande de la transparence, et nous sommes nombreux au sein de la filière à agir en ce sens.
Est-ce que vous avez un coup de cœur mode ou textile qui vous inspire ces derniers temps ?
Au-delà des marques, ce sont toutes ces nouvelles initiatives qui m’interpellent, celles qui qui font bouger les codes, qui s’engagent comme The Greener Good, une jeune association lyonnaise qui organise des évènements écoresponsables pour le grand public, ou Alory slow Fashion, jeune marque de vêtements fabriqués en France de manière artisanale, upcyclés, avec une volonté d’aller vers le zéro déchet…Je peux également citer le Textile Lab à Lyon, un espace de travail collaboratif dédié à la création textile fondé par Pauline Gamoren, ou la jeune marque ALMA D_KJ avec qui nous partageons les mêmes valeurs pour construire ce fameux monde d’après que nous sommes de plus en plus nombreux à souhaiter.
-Propos recueillis par N. Righi – Décembre 2020-