PME familiale spécialisée dans la fabrication des textiles à usage technique destinés aux vêtements professionnels et de protection, TDV Industries habille chaque année, via ses tissus, plus trois millions de personnes sur leur lieu de travail. Son Président Christophe Lambert, actionnaire de la cinquième génération, est un “textilien” fier de cette belle entreprise au profil atypique, devenue l’un des symboles d’une filière textile français conquérante, innovante, disruptive, et dynamique. Ardent défenseur d’un projet d’entreprise durable et humainement responsable, ce dirigeant avant-gardiste revient pour nous sur les choix stratégiques qui permettent aujourd’hui à la PME d’afficher une santé florissante, et sur les perspectives d’avenir de la filière textile.
TDV Industries est une entreprise dont la complète intégration s’avère être un positionnement stratégique gagnant. Dans votre quête vers L’Excellence Textile, comment insufflez-vous encore l’envie d’innover aujourd’hui à chaque niveau d’activité de cette entreprise au profil rare en Europe ?
La plus efficace des stimulations c’est l’envie collective de s’inscrire dans le temps long. La devise des familles Coisne et Lambert, actionnaires de TDV depuis 150 ans, a longtemps été « Ce qui compte c’est ce qui dure », devise complétée il y a une vingtaine d’années par « Ce qui dure c’est qui qui sait s’adapter ». J’ajouterais que s’adapter ce n’est pas forcément faire comme tout le monde. Nous savons que pour durer – survivre- dans un monde en ébullition constante, il faut avoir envie de se réinventer sans cesse, d’alterner petites morts / petites naissances et grandes métamorphoses. Il faut donc chercher à être structurellement innovants, autant dans notre modèle économique, dans notre management, que dans notre offre tissus et nos solutions textiles. Intégrer le Lean management, investir dans la filature française pour servir notre tissage, notre teinture et notre atelier de finition, calculer et afficher pour chacun de nos tissus leurs indices carbone et eau sont autant d’exemples que je peux vous donner pour illustrer un propos, évidemment plus simple à exprimer qu’à réaliser en permanence.
Nos innovations produits ne doivent par ailleurs pas être “cosmétiques”, ne concerner que des nano-marchés. Elles doivent être des locomotives et permettre à notre entreprise de commercialiser et produire tous les ans des millions de mètres à fortes valeurs ajoutées techniques, sociétales et fonctionnelles.
Innover c’est donc se réinventer sans cesse et la quête de l’excellence textile qui vise à pousser les murs à tous les niveaux à rendre possible l’impossible, est donc en fait stimulée par l’ensemble des salariés dans une démarche existentielle. Cette envie est insufflée aux équipes en leur montrant que le cap est que « ce qui était soit- disant has-been hier sera incontournable demain » ; et demain nous serons donc là.
Process respectueux de l’environnement, smart textiles…vous êtes engagés dans plusieurs projets de R&D avec d’autres acteurs de la filière, et ce depuis plusieurs années. Travailler en mode collaboratif est-il encore aujourd’hui incontournable pour innover dans certains domaines ?
Incontournable, certainement surtout si vous êtes une PME, mais ce n’est pas suffisant pour être en ambition de leadership. Nous avons choisi d’être présents à la fois sur le mode collaboratif et sur le mode individuel. Le collaboratif pour l’ampleur, l’émulation, l’addition et la complémentarité des compétences et l’individuel pour en faire un axe de différentiation commerciale.
Travailler en mode collaboratif pour un textile à la fois connecté et autonome, main dans la main avec, en amont, des écoles, des centres techniques de recherche (spécialistes du textile, de l’électronique ou de la connectique) et, en aval une entreprise spécialisée dans le transfert des datas et un confectionneur de vêtements, vous permet d’apporter, à votre niveau de la chaine, votre compétence et votre énergie propre et de contribuer à transformer l’utopie d’aujourd’hui en réalité de demain.
Le futur du textile – et le textile du futur-, je le crois, combinera technologie et environnementalisme. Textiles connectés autonomes en énergie, (Projet Autonotex), UP Cycling post consuming (Projet Rewind) où des tissus puis des vêtements seront obtenus à base d’autres vêtements en fin de vie, ou suppression du formol dans la production de tissus (projet Noformol), tels sont les projets collaboratifs dans lesquels TDV Industries est très fortement engagée.
Mais notre entreprise travaille également sur des axes individuels, visant à offrir des fonctionnalités combinées, notamment pour les tissus militaires, ainsi que des solutions textiles dans les domaines du confort thermique, des tissus d’alerte, des tissus bien-être, des fibres bio sourcées, de tissus auto-nettoyants.
La responsabilité sociale et environnementale est un axe stratégique majeur de votre propre développement. Comment sensibilisez-vous aussi vos partenaires, vos clients à cette nécessaire prise de conscience ?
En l’an 2000 nous nous sentions une âme de prophètes dans une économie mondiale qui, en Occident et à nos yeux, avait perdu, le sens et la raison. Conscients que les entreprises avaient une très grande responsabilité dans l’avenir de la planète du fait, à la fois de ses impacts et de ses ressources propres, nous avons souhaité que notre modèle économique s’inscrive dans ce que nous avons appelé l’économie positive (faute de mots à l’époque), mais aussi que la filière des vêtements professionnels devienne la plus « « advanced », ce qui est le cas en France aujourd’hui.
Notre objectif a toujours été d’être contagieux, pour créer de forts impacts vertueux, et bien au-delà de nos frontières. C’est aussi parce que la prise de conscience collective suffisante est toujours trop tardive, que nous avons décidé d’être acteur du Global Compact (sous l’égide de l’ONU) et de prendre comme référentiel de notre nouvel Agenda 21 2018/2022 les 17 objectifs du développement durables, (ODD/ SDG). Le monde entier devrait s’aligner sur ces 17 O.D.D. toutes les nouvelles philosophies et toutes les religions devraient en intégrer la forte dimension humaniste, et ceci afin d’éviter de sur réagir lorsque nous atteignons les points de non-retour.
Aujourd’hui toutes les parties prenantes de l’entreprise (internes et externes) sont convaincues et peuvent s’approprier tout le supplément d’âme que contiennent nos tissus, et que matérialisent nos Agenda 21, nos rapports RSE, nos calculateurs environnementaux et sociétaux, nos labels, certifications et engagements…
En résumé , nous réalisons notre part chaque jour et nous souhaitons entrainer de nouveaux acteurs dans nos engagements qui sont déjà aujourd’hui pour tous une nécessité « vitale ».
TDV a lancé une application de réalité augmentée, une vraie innovation sur le marché du vêtement professionnel. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce nouveau service ? Pensez-vous que la personnalisation soit un vrai relais de croissance pour le secteur textile habillement aujourd’hui ?
Notre modèle économique est irrigué par la RSE, le Lean management et de plus en plus désormais par le digital. Et c’est vrai que nous avons fait le buzz sur le dernier salon Expo Protection avec notre appli originale, créée pour mettre en scène une toute nouvelle gamme coloris destinée à customiser les vêtements professionnels, via les couleurs et/ou des alliances de couleurs spécifiques.
L’appli permet de visualiser des dizaines de combinaisons de couleurs et de choisir facilement. Elle a été conçue pour être un outil d’aide à la vente pour faciliter des décisions rapides (n’oublions pas que la course au temps est non-stop !) quand le choix est trop grand, pour disrupter avec les outils connus d’aujourd’hui mais aussi pour faire vivre une « expérience » à nos clients utilisateurs quand travail doit de plus en plus souvent rimer avec « ludique ». Cette application nous a permis également clairement de nous différencier en montrant qu’une entreprise cent-cinquantenaire pouvait avoir le 2.0 voire 3.0 dans le sang.
La personnalisation contribue à l’image et donc à l’impression positive ou négative que le vêtement renvoie de nous. Etre différent(e) et valorisé(e), même en uniforme….Notez que c’est compliqué dans l’industrie textile de combiner produits spéciaux et compétitivité. La taille intermédiaire de TDV permet ce compromis.
Vous proposez aujourd’hui des tissus fabriqués en France, des matières responsables, des produits de qualité, confortables et techniques, fabriqués avec une grande réactivité et un service personnalisé, le tout avec la promesse d’une très grande transparence et d’une réflexion sur la fin de vie des textiles. Tout cela raconte une histoire, votre histoire; était-il fondamental de présenter/garantir le sens de votre activité, pour se différencier et établir une relation de confiance avec vos clients ?
Merci d’avoir perçu notre réalité matérielle et immatérielle. Nous sommes fier(e)s de cette histoire, que nous voulons écrire et proposer à nos clients encore longtemps. En fait nous essayons de construire des réponses robustes et sécurisantes qui combinent, le mieux possible et en transparence, le (ultra) Fast, le Tech, le Fair et le Smart, et qui visent à contribuer à la réussite commerciale de nos clients et des clients de nos clients. Notre filière doit être sécurisée dans la durée ; le vêtement professionnel doit contenir sécurité, image, confort, réponses aux attentes citoyennes. C’est un achat socialement stratégique .
Ne croyez-vous pas d’ailleurs, qu’à une époque de tous les possibles et de tous les dangers, il faille des acteurs qui sécurisent, qui s’engagent en transparence ? Mais pour s’engager, il faut maîtriser, avoir des principes et les moyens de ses principes. Lorsque vous exercez le métier de textilien depuis 150 ans (sans changement d’actionnaires), en conservant et développant vos valeurs fondamentales, vous êtes plus crédible que si vous arrivez sur le marché.
Nos clients ou les utilisateurs finaux sont aussi des consommaCteurs et dans leurs vies professionnelles comme privées, ils veulent de plus en plus souvent savoir d’où viennent les articles qu’ils achètent, comment et par quelles entreprises et ils ont été obtenus. Pour nous tracer les origines est une évidence ; aussi était-il logique de nous mettre en devoir de transparence –donc de déclaration- avant que cela ne nous soit demandé.
TDV a racheté l’italien Klopman en 2016 ; au-delà des ventes déjà réalisées à l’export, pourquoi passer le cap et opter pour une acquisition à l’international ?
Notre vision transformatrice 2010-2020 Excellence textile visait à nous faire pousser tous les murs de nos compétences et de nos connaissances, mais également de notre géographie commerciale. La mondialisation tirant désormais vers le haut, les écarts de coûts main d’œuvre s’estompant d’une compétition où la maitrise de la complexité prime, le moment était venu de grandir, et d’élargir significativement notre emprise commerciale. Nous en avons profité pour densifier notre recherche et développement, notre marketing et pour développer des synergies de tous ordres permettant plus de compétitivité et globalement toujours plus d’expertise. Et tout ceci en conservant à chacune des deux entreprises son identité et sa gestion autonome. Klopman est sans doute la plus internationale des entreprises textiles occidentales. La marque TDV industries profite donc fortement de ce rayonnement et c’est important.
Autre raison forte, une PME a du fait des ressources qu’elle peut générer des limites à ses ambitions que n’a pas forcément une ETI. Si la compétition ne s’opère plus sur les écarts de coûts main d’œuvre mais sur le meilleur apport combiné fast-tech-fair et smart, il nous faut plus de ressources pour libérer plus de moyens. Ce mariage nous permet de nous renforcer dans tous les domaines de l’entreprise. Il profite aux deux entreprises, mais aussi à toute la filière européenne, tant nous sommes complémentaires.
La prochaine révolution industrielle, la fameuse industrie du futur, est en marche dans les entreprises françaises. Vous concernant, quelle serait votre usine du futur idéale ?
Pour la première fois de son existence le cerveau de l’homme ne peut prétendre imaginer ce qu’il va être capable de créer dans les vingt prochaines années. L’humanité est donc à un moment critique particulier de son histoire. Elle est par ailleurs devenue occupante de la planète, et l’histoire n’est plus un secours pour lire l’avenir . Bio éthique, Intelligence Artificielle active, carbone en trop, manque d’eau, réalité augmentée, humanité diminuée, population mondiale croissante, surfaces arables non extensibles, impression 3 D, l’avenir est un challenge et surtout…” Il faut que tu respires” (comme le chantait Mickey 3D)!
J’aime dans ce contexte votre question de l’usine du futur idéale. Déjà, j’espère que les robots, s’ils remplacent tous les humains au travail porteront du textile TDV ! L’usine du futur se déploiera au sein d’un éco-système:
- Ultra connecté et communicant, dont le client sera le cœur
- Ultra clean : des parties prenantes qui partageront les valeurs, qui voudront faire leur part et dont le choix environnemental et sociétal sera un réflexe comme aujourd’hui on boucle sa ceinture en montant en voiture ou en avion.
- « Ultra quick response oriented » : elle saura répondre de façon responsable, dans une échelle de temps/heures.
- Ultra technologique : elle utilisera des technologies et des matériaux qui permettront de résoudre les quadratures du cercle actuelles aux besoins des clients.
Et la prédictibilité permettra l’excellence et la production locale.
Finalement, quel regard portez-vous sur l’évolution de votre métier, et sur l’industrie textile-habillement de façon plus générale ?
Le textile-habillement sera encore demain et après-demain l’un des plus anciens métiers du monde et il s’exercera en vertical dans chacun des bassins de populations. La femme, l’homme et l’enfant devront toujours de protéger des intempéries, de la nudité, du feu, des radiations, et de tous nouveaux risques auxquels son cerveau contribuera à l’exposer. Mais le vêtement pourrait également devenir seconde peau et sixième sens, le matériau textile deviendrait le prolongement numérique de l’être humain dans un univers économe en ressources….
Notre industrie sera toujours au service d’un monde au travail qui va continuer à muter, mais qui aura toujours besoin d’une supply chain “advanced”, durable & responsable, et de proximité. Nous allons teindre ou fonctionnaliser les textiles sans eau, avec des colorants en partie bio-sourcés, nous ferons de nouveaux vêtements à partir d’autres, arrivés en fin de vie. Les cycles de vie seront radicalement revus ; nous ferons mieux voire plus, avec moins.
Mon regard a toujours été optimiste à long terme, prudent à court terme et cela fait 30 ans que je sévis dans le textile…. Quelles que soient les révolutions technologiques, sociétales, quelle que soient les pensées uniques, il faudra des industriels qui prennent des risques et des parties prenantes qui exercent des choix éclairés. A ma génération nous avons investi tous les ans 5 % de notre CA pour produire des tissus français – durant la fin des années 90 et le début des années 2000 nous passions pour des imbéciles. J’ai bon espoir que chez la nouvelle génération d’actionnaires Coisne et Lambert – déjà en formation et bientôt prête à reprendre le relais, le flambeau – le regard reste le même. Serait-ce aussi une histoire de gènes ?
Propos recueillis par N. Righi – Septembre 2018