Mode in Textile

Interview de Laurent Chaigneau, président de Schappe Techniques

Acteur historique de la filière textile française, SCHAPPE TECHNIQUES est un producteur de fils techniques commercialisés pour diverses applications industrielles, des équipements de protection aux matériaux composites. Ses spécialités ? Le craquage de fibres et la finition de fils.  Son atout majeur ? L’international.  Ses axes de développement ? L’innovation et l’accompagnement client. Membre du Conseil d’administration de l’Union des Industries Textiles, son actuel président Laurent Chaigneau nous en dit un peu plus sur ce qui fait la force de cette dynamique PME qui a tout d’une grande.

L’ADN de Schappe Techniques repose sur le craquage de fibre pour fabriquer des fils à hautes performances, une petite révolution technologique réalisée dans les années 50 à partir d’un savoir-faire pourtant ancestral de filature de la soie. Aujourd’hui, comment pourriez-vous décrire le processus d’innovation au sein de votre entreprise ?

 L’innovation est un vecteur important de durabilité et de performance de l’entreprise. Sans investissement dans l’innovation, quelle que soit sa forme, produit, process, ou autre, l’entreprise prend un risque sur le long terme.

Chez Schappe, il existe deux grands axes de travail aujourd’hui. Nous devons tout d’abord, pour rester en avance sur nos concurrents, continuer à innover sur nos points forts. C’est ce qui est fait sur la partie process du craquage de fibres mais aussi sur les technologies de finition des fils. Et concernant le deuxième axe de développement, il repose sur la volonté de trouver des solutions réelles aux problématiques posées par nos clients. Nous ne faisons pas de l’innovation juste pour faire de l’innovation,

Pour cela, il existe deux types de projets. Le premier ce sont les grands projets nationaux, avec souvent des grandes entreprises impliquées et des financements importants, plutôt en amont de la recherche et développement de manière générale. Aujourd’hui, ce type de projet n’est plus prioritaire pour nous, car nous n’avons pas forcément la taille critique adaptée.

Et puis il y a les autres types de projets, plus concrets, à plus court ou moyen terme, sur lesquels nous pouvons nous positionner pour apporter de la valeur à nos clients. Nous innovons ainsi sur la recherche de performance (plutôt que sur d’autres sujets à plus long terme type textile connecté). Par exemple, nous travaillons actuellement sur une problématique de suppression complète des noeuds pour obtenir un tricot avec zéro défaut. Et ce n’est pas si simple que ça ! Voilà une problématique typique, très précise, sur de la performance, comme nous en avons sur la propreté du fil, sur l’augmentation d’une protection anti-coupure, etc. Autre exemple, nous travaillons avec des japonais et des américains sur une solution thermique, avec un compromis performance /prix le meilleur possible, qui n’existe pas sur le marché actuellement.

Pour mettre tout ceci en œuvre, nous avons une petite équipe de recherche et développement interne, et nous avons par exemple recommencé à travailler avec le support de l’IFTH sur certains projets.

 Que vous apportent ces échanges avec d’autres acteurs, centres techniques ou entreprises, au sein de la filière ?

 Il est très intéressant de s’appuyer sur les centres de recherche comme l’IFTH, avec des experts en charge de l’acquisition de savoir et de savoir-faire, pour compléter une expertise textile manquante sur un sujet. Cela doit se traduire par un transfert concret -de savoir et/ou de savoir-faire- à l’entreprise.  Les échanges permettent aussi et surtout de challenger les projets. Un centre technique a ainsi un vrai rôle à jouer pour être un bon « co-pilote » aux côtés de l’entreprise, pour aider à la définition de la stratégie d’innovation, à la structuration de projet, pour accéder  à l’information, et autres.

 Vous travaillez beaucoup pour le secteur des matériaux composites, comment l’avez-vous vu évoluer ces dernières années ?

 C’est un secteur qui évolue en permanence. Il y a actuellement une consolidation de la filière, ce qui est plutôt un bon signal envoyé aux décideurs de manière générale. Une structuration des acteurs laisse présager une plus forte capacité à venir pour l’innovation.

Pour Schappe, les demandes en produits composites innovants sont clairement tirées par le marché nord-américain. Celui-ci avance en effet va beaucoup plus vite que le marché européen, moins enclin à prendre des risques. Le Canada est un exemple impressionnant de mise à disposition de moyens pour le développement de composites innovants. Même les grands OEM (Original Equipment Manufacturer) américains confient aujourd’hui une partie de leurs études aux centres canadiens. Ce pays s’est réellement donné les moyens d’innover notamment avec des possibilités de partenariats publics-privés fortes.

 Est-ce que des fils ou des process plus « verts » sont une voie de différenciation envisagée chez Schappe?

 Des essais ont déjà été lancés avec la fibre de lin (projet Fiabilin par exemple). Cependant, à ce jour, et par rapport à notre process, il n’existe pas encore de débouché possible pour ce type de produits. Mais nous nous y intéressons. Nous essayons également de recycler une partie de nos fibres, en vérifiant toujours les propriétés et les caractéristiques des produits obtenus à partir d’éléments recyclés. Nous arrivons dans un certain nombre de cas à trouver des solutions pour réutiliser les produits, en s’adaptant selon la nature des matières. Par exemple, pour l’étape de teinture de méta-aramides recyclés, nous utilisons des coloris foncés afin d’éviter des nuances de couleurs indésirables.

Le recyclage de la fibre de carbone fait également partie de nos axes de réflexion. Les niveaux de performances que nous souhaitons obtenir pour nos produits très techniques sont cependant très élevés, et nous n’avons à ce jour pas encore trouvé de solution idéale pour cette matière.

 Finalement, quel est votre sentiment sur l’évolution à venir de l’industrie textile française dans les années à venir ?

 Il y a des courants assez surprenants, de retour de production en France par exemple, qui n’étaient pas envisageables il y a quelques années, dans le domaine de la mode et du luxe par exemple.

Dans le secteur des textiles techniques, nous sommes nombreux à connaître une évolution et une croissance favorables depuis quelques années. Nous sommes optimistes pour les années à venir. Il y a moins de concurrence car les volumes sont plus faibles et les différents marchés sont plutôt de niches. La personnalisation des produits selon les besoins des clients est assez prononcée. Les demandes sont de plus en plus complexes, avec des exigences RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise) et de performances de plus en plus fortes. Il y a une réelle appétence pour de nouvelles solutions à inventer, et des opportunités existent.

Reste un grand point d’interrogation, par exemple autour des développements de l’impression 3D. Sera-t-elle une menace ou une opportunité pour le secteur ? L’avenir nous le dira !

Propos recueillis par N.Righi – Octobre 2017