L’innovation au service de l’homme au travail, c’est ce qui pourrait définir Kiplay, l’entreprise dont Marc Pradal est le Président, une société familiale puisque créée en 1921 en Normandie par son grand-père. L’habillement professionnel est le cœur de l’activité de Kiplay, spécialisée dans la création, la fabrication et la logistique de vêtements à image de marque et de vêtements techniques personnalisés à destination des entreprises et des administrations. Marc Pradal est par ailleurs Vice-président de l’Union française des industries de la mode et de l’habillement (UFIMH), membre des conseils d’administration de l’Institut Français du Textile et de l’Habillement (IFTH) et du DEFI, et Président de Normandie Habillement. Toujours à l’affût des évolutions des techniques, des technologies et des modes de consommation, il nous livre ses réflexions sur le processus d’innovation et les raisons de ses choix de développement stratégique.
Comment pourriez-vous décrire le processus d’innovation aujourd’hui au sein de votre entreprise ?
Chez Kiplay, l’innovation a toujours été présente. En 1991, nous avons par exemple développé avec l’INRS les protections de genou avec les mousses hygrovet sur le vêtement de travail. Nous avons apporté une innovation sur ce produit-là, qui s’est totalement généralisée, la moitié des pantalons de travail aujourd’hui comportant une poche de protection contre l’hydroma du genou. Lors de l’apparition de nouvelles normes en 1995, nous avons été parmi les premiers à décliner des lignes de vêtements de protection (EPI) sur stocks, et à les distribuer sur le marché. Avant même ces normes, dans le comité OGBTP, nous travaillions sur le label OBS car il n’existait rien, nous avons donc créé un vêtement de protection pour le secteur TP-BTP. L’innovation fait donc vraiment partie de l’ADN de Kiplay. L’intégration de l’intelligence, avec de nouveaux moyens de communication dans le vêtement a donc naturellement été envisagée il y a maintenant plus de deux ans sur le projet de parka connectée. En répondant à un appel à projet de la DGE (baptisé ConsoConnect), avec l’IFTH et Nomadic Solutions, le projet a été accepté pour un travail de dix-huit mois et un objectif de présentation de prototype sur le salon Expoprotection fin 2016. Le challenge a été relevé puisque nous avons pu présenter des prototypes intégrant des fonctions lumineuses, chauffantes, et de géolocalisation. Nous venons de signer un partenariat avec le Conseil Général de l’Orne afin de mettre en situation ces vêtements intelligents sur le terrain, pour réaliser tous les tests d’ici la fin de l’année, et pouvoir apporter les améliorations nécessaires pour le futur. Les principales difficultés pour la conduite d’un tel projet d’innovation sont l’implication de tous les services de l’entreprise, la communication, et les changements d’habitudes nécessaires. La mise en oeuvre chez Kiplay est finalement très factuelle. Mon fils Gérault a débuté un travail en alternance au sein de l’entreprise pour développer ce projet de vêtement connecté. Après un an passé sur le développement du projet, il est aujourd’hui salarié de Kiplay pour piloter la partie marketing, commerciale et le suivi de la recherche et développement Sur cette dernière partie, nous venons d’engager une jeune alternante, Mélissa Peyratout, qui va continuer à développer le produit durant les trois prochaines années.
Qu’est-ce que vous apportent les collaborations engagées avec d’autres acteurs au sein de la filière, comme l’IFTH ou comme les jeunes entrepreneurs qui se lancent sur le marché ?
Nous maîtrisions bien la fabrication du vêtement, mais absolument pas les nouvelles technologies, comme la partie applications type software, et la partie technique pure à intégrer dans le vêtement (éléments lumineux, chauffants…), avec la complexité des câbles, les éléments de fixation à prévoir, et enfin le lavage et l’entretien, qui est un véritable problème. Nous apprenons et nous nous habituons avec le produit !! Nous nous appuyons sur un réseau national que nous sommes en train de construire, avec des acteurs très différents, auprès desquels nous recueillons des savoir-faire ou avec qui nous tissons des partenariats. Il y a par exemple des acteurs qui ont acquis un certain niveau de maturité, par exemple pour tout ce qui concerne la protection du travailleur isolé (PTI), fonction qui nous intéresse. Les solutions techniques existent, mais nous souhaitons vraiment mettre à disposition du consommateur un produit qui fonctionne, et qui soit à un coût acceptable pour le marché. Rien n’est réellement au point à travers le monde, malgré les réflexions engagées en Asie par exemple, sur ces problématiques de vêtements intelligents. Nous réfléchissons actuellement à trouver un nouveau programme de recherche français ou européen pour continuer à avancer, car cela nécessite des moyens importants. En parallèle, nous développerons des produits courants sur des besoins plus identifiés, et disponibles sur stocks. Par exemple, les vêtements chauffants, avec en particulier un pantalon chauffant très astucieux (couvre-reins), et les premiers gilets LED qui apparaissent pour apporter une véritable sécurité.
Vous avez d’ores et déjà mis le cap sur le vêtement connecté, mais également sur une production de jean made in France ; comment réussissez-vous à concilier le retour à une activité finalement très traditionnelle, avec le développement de vêtements intelligents ?
Pour moi, l’industrie textile habillement est toujours une industrie avant-gardiste. Pour faire simple, nous prenons des coups avant les autres, mais nous proposons aussi des développements avant les autres. Le Made in France est un retour naturel très limité, sur des niches, mais existant, et ayant une valeur. Le secteur a été parmi les premiers à délocaliser ; aujourd’hui, un raccourcissement des circuits de production est clairement en train de s’opérer, mais concernant la production France, nous sommes plus sur de la production ciblée correspondant à un besoin du marché plutôt qu’une réelle relocalisation d’activité. Pour le luxe, il s’agit d’un besoin de traçabilité, d’authenticité, de reconnaissance d’un savoir-faire ; pour nos produits, il s’agit de relancer un produit de haut gamme, avec un processus de production ancestral autour du pantalon, et nous avons travaillé sur l’authenticité, sur un produit de qualité, en repensant les processus, en investissant, et nous avons surtout fait de la recherche de collaborateurs souhaitant intégrer ce processus de production. Nous nous sommes appuyés sur des partenaires comme l’Opcalia et 1001 Formations, et mis en place un tutorat pour accompagner les nouvelles recrues dans l’entreprise. Mon fils Clément, qui est issu de l’Ecole supérieure des industries du vêtement (ESIV), a également intégré Kiplay avec sa passion du travail bien fait et de la production française. C’est une des raisons supplémentaires, et finalement assez logique, de porter ce projet made in France ! Je pense que le vêtement connecté et le made in France sont vraiment les deux voies de développement de Kiplay pour le futur.
Finalement, quel regard portez-vous l’évolution du secteur textile habillement sur les dernières décennies ?
Le secteur s’est vraiment paupérisé ces dernières années face à la distribution, les H&M, ZARA, qui ont su répondre aux besoins immédiats, et fait face aujourd’hui aux nouveaux arrivants comme Amazon et autres ventes en ligne. Cette « Fast Fashion » a pris nos industries traditionnelles de vitesse. Concernant notre secteur de vêtements professionnels, les dernières évolutions et réglementations ont obligé les acteurs de la profession à bouger, et dans le même temps, cette obligation a permis aux entreprises d’apporter de la nouveauté, de la créativité, et surtout du service associé autour du vêtement, par exemple, en termes de livraison en temps réel d’un vêtement adapté à une personne et à sa typologie de risque professionnel. Notre profession apporte aujourd’hui un service complet avec des produits de qualité. De plus, nous travaillons sur appels d’offres. Nous avons ainsi intégré depuis une dizaine d’années la notion de recyclage, bien que cela ne soit pas encore abouti, alors nous proposons déjà des solutions de récupération et de recyclage des vêtements usagés. La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et le développement Durable (DD) nous a été plus ou moins imposée dans ce cadre, et cela nous paraît du coup naturel aujourd’hui.
Et selon vous, quelles sont les évolutions majeures vont marquer la filière textile durant les prochaines années ?
Pour l’habillement cela va être compliqué, car la concurrence a des moyens importants. Il est nécessaire que nos chefs d’entreprises retrouvent des axes de développement pour le futur. Je suis au coeur de plusieurs instances de type UFHIM, IFTH, DEFI ou Synamap et je vois les évolutions qui s’opèrent. J’en profite pour rappeler toute l’importance du DEFI et de l’IFTH, qui sont deux piliers importants de notre profession. Des groupes de travail se mettent en place mais il faut maintenant que les chefs d’entreprises se remettent en question et trouvent des axes clairs de développement en intégrant la part incontournable désormais du numérique. Pour ma part, j’essaie surtout d’apporter une lisibilité et une visibilité de la stratégie de développement choisie, à la fois pour chacun des collaborateurs chez Kiplay, mais également pour nos clients actuels et futurs. Et nous croyons au futur à travers ces deux grands axes : la production française de jeans de qualité, et le développement de vêtements techniques connectés.
Propos recueillis par N.Righi – Octobre 2017