Discret dirigeant de la PME familiale Massebeuf Textiles, Patrick Massebeuf est pourtant aux commandes d’une petite pépite de la filière textile nationale. Acteur historique du moulinage français dédié à l’habillement, et confronté à la crise du secteur, il a misé sur l’innovation il y a plus d’une dizaine d’années, l’a inscrite au cœur de sa stratégie d’entreprise, pour transformer l’activité et devenir créateur et fabricant de fils techniques fonctionnels à usages technique et textile. Son savoir-faire actuel est basé sur la mise en œuvre de fils à l’aide de différentes opérations telles que la texturation, le guipage, le retordage, le câblage le traitement de fil par voie chimique
Pari gagné, puisqu’aujourd’hui la petite PME ardéchoise joue dans la cour des plus grands avec des innovations primées sur des salons prestigieux comme Techtextil, en particulier pour des textures à base de son fil Silicotex®. Patrick Massebeuf a accepté de nous présenter ce qui fait la force aujourd’hui de sa Société, l’envie d’innover au quotidien.
Innover pour rester compétitif sur un marché concurrentiel fait partie intégrante de la stratégie de Massebeuf Textiles. Aujourd’hui, comment pourriez-vous décrire ce processus d’innovation au sein de votre entreprise ?
Notre société est issue du textile traditionnel, dont le marché a quasi complètement disparu, car nous fabriquions du fil pour l’habillement. Aujourd’hui nous sommes positionnés sur le fil dit technique, fonctionnalisé. Il était inévitable de changer, d’adapter notre organisation pour garder une activité économiquement viable en France. Pour ceci, il y une dizaine d’années, nous avons fait réaliser un audit de notre organisation par l’IFTH afin de déterminer nos besoins et les pré requis à mettre en place pour pouvoir fabriquer des produits innovants pour nos clients, mais également pour notre compte, afin de les commercialiser et s’affranchir de notre positionnement de sous-traitant. Une cellule de veille et d’innovation a ainsi été mise en place suite à cet audit, et nous avons également été formés à la gestion de projets.
Aujourd’hui, nous restons bien évidemment à l’écoute du marché et de nos clients, qui nous demandent régulièrement de développer de nouveaux produits. Nous réalisons alors des études selon les spécificités demandées pour ces nouveaux produits, jusqu’à leur production. Et nous proposons également nos propres produits, développés avec des technologies innovantes, sur la base des idées générées grâce à notre intégration au sein de divers réseaux, avec des pôles de compétitivité, centres techniques, laboratoires, fournisseurs, clubs de veille, et autres programmes collaboratifs.
De manière générale, deux personnes travaillent à plein temps sur l’innovation chez Massebeuf Textiles, et une personne est recrutée ponctuellement en soutien, selon les compétences spécifiques nécessaires aux programmes de recherche Mais même hors département R&D, chacun à son niveau participe un peu au process d’innovation au sein de la société, selon ses compétences. Le processus de gestion de projet est organisé, en grande partie autour du système de certification ISO 9001. Le processus de normalisation a permis de nous structurer, autour d’un manuel qualité dans l’entreprise ; la norme impose certains points, mais elle demande surtout de réfléchir à plus d’efficacité, d’analyser régulièrement la stratégie pour qu’elle reste pertinente.
Que vous apportent les collaborations engagées avec d’autres acteurs au sein de la filière, notamment à travers des projets de R&D ?
Ce type de projet apporte une ouverture vers d’autres partenaires ; encore une fois cela permet de constituer un réseau. Cela est d’autant plus important que notre métier aujourd’hui de fabricant de fils techniques consiste très souvent à intégrer des technologies issues ou en cours de développement dans d’autres domaines d’activité hors textile. Et le Crédit Impôt Recherche mobilisable selon les travaux effectués est un outil très important dans notre processus de R&D, il permet de financer partiellement les projets et de limiter les risques en cas d’échec.
Ce fil innovant nous permet par ailleurs de nous positionner favorablement à l’international. C’est grâce à ce type de produit différenciant que nous pouvons nous développer à l’export, en le présentant via notre réseau commercial mais également sur des salons comme Avantex, Medica, et d’autres encore.
Les projets collaboratifs nous apportent un réseau de compétences, de spécialistes, mais surtout de personnes partageant la même motivation, la même vision et la même approche pour innover, pour développer de nouveaux produits. Cette ouverture nous est donc indispensable aujourd’hui.
Après le succès de votre fil fonctionnalisé siliconé, vous participez maintenant au développement d’un fil « intelligent », pourquoi un tel choix de développement technologique vers les smart textiles ?
Les smart textiles sont au cœur des discussions stratégiques pour le développement du secteur textile depuis quelques années. Il nous semblait donc important de travailler sur le sujet, afin de tester notre potentiel dans ce domaine. A travers les projets Thésée et Streamthread, nous sommes acteurs de l’intégration de l’électronique dans le textile du futur. Cela nous permet d’évaluer concrètement si le smart textile est un enjeu majeur de développement pour Massebeuf Textiles, de tester ce type de développement en minimisant les risques, d’acquérir des connaissances dans d’autres secteurs comme l’électronique, et de mieux appréhender les besoins futurs des utilisateurs.
C’est extrêmement intéressant, nous sommes encore au début du projet et l’avenir nous dira à quelle place nous nous situerons vraiment demain dans la chaîne de fabrication de ce type de produit intelligent.
Envisagez-vous d’autres voies de différenciation, comme le développement durable (fibres recyclées, biosourcées, autres …) ?
Le sujet est un peu compliqué à traiter pour notre activité. En effet, nous fabriquons des fils composites, c’est-à-dire que 80% de ce que nous produisons sont des fils multi matériaux, avec une problématique de recyclage évidente. De plus, nous ne sommes pas à l’origine de la matière première.
Cependant nous suivons bien entendu les tendances du marché. Nous intégrons ainsi de plus en plus le polyester recyclé par exemple, ou les fibres cellulosiques de type Tencel dans nos développements, quitte à orienter certains investissements futurs pour tenir compte de l’augmentation de l’utilisation de ces matières.
Par ailleurs, le développement durable est intégré directement au sein de l’entreprise à travers l’optimisation de nos propres procédés, en s’orientant vers des process plus respectueux de l’environnement, moins consommateurs en ressources (eau, énergie, matières premières), ou en triant plus nos déchets.
Quel regard portez-vous sur votre métier ?
Nous avons la chance d’être dans un secteur d’activité pour lequel le marché mondial demande de plus en plus de textile. Nos marchés finaux ne sont pas en cours de disparition, bien au contraire !
Notre problématique d’industriels pourrait se résumer surtout à réussir à être présent sur le marché au bon moment avec le bon produit. En tant que transformateur textile, je pense que l’innovation sera d’autant plus efficace et intelligente qu’elle sera intégrée le plus en amont possible de la chaine de production, Dans l’entreprise on pense qu’n textile ne deviendra intelligent que si la fonctionnalité peut être intégrée au plus tôt dans la production du textile.
Notre industrie a encore de belles cartes à jouer, mais elle doit être proactive, et ne pas rester en position d’attente d’un éventuel besoin du marché. Elle doit également tout faire pour rester en capacité de fabriquer, et de produire à l’échelle industrielle les nouveaux produits issus des projets d’innovation.
Car n’oublions pas que nous ne vivons que des produits que nous fabriquons et que nous vendons !!
Selon vous, quelles évolutions vont marquer la filière textile durant les prochaines années ?
Toutes les technologies qui permettent d‘abaisser les coûts sont intéressantes à intégrer, notamment pour la production de petites séries, voire de production quasi personnalisée. Donc pourquoi pas l’impression 3D si cela est pertinent dans le futur !
Mais c’est surtout le développement de l’informatique tout au long du process qui est essentielle : la numérisation nous aide à faire des changements de série rapides et à gérer la complexité grandissante de nos productions à multiples facettes. Il ne faut pas rater ce virage, nous ne pouvons plus travailler avec les mêmes machines d’il y a trente ans.
Qu’est-ce qui vous a le plus interpellé derniers mois en matière d’innovation ?
Un matériau souple qui durcit sous l’effet d’un choc vu sur le salon A+A, qui m’a surpris et dont je serais intéressé de voir quelles applications pourraient être développées dans le textile à partir de ce matériau. Ou encore un tissu anti-performation et anti-coupure développé par la société américaine Turtleskin, fonctionnalisé grâce à une enduction innovante, très fine et gardant toute sa souplesse au tissu.
Mais je surveille surtout les textiles à effet piézoélectriques, qui m’intéressent beaucoup, mais qui sont surtout existants au stade laboratoire actuellement. J’attends donc avec impatience de voir des développements arriver sur le marché.
Propos recueillis par N. Righi – Avril 2018
Credit Photo: Massebeuf Textiles