Mode in Textile

Interview de Philippe Hache, Dirigeant de Macosa

Fondée il y a plus de 40 ans, Macosa est une PME spécialiste de la lingerie et de la corsetterie haut de gamme et luxe. Son savoir-faire historique est désormais complété par le vêtement balnéaire, mais également de façon plus étonnante par la confection des tutus de l’opéra de Paris, des marinières d’une célèbre marque française, ou des articles médicaux.

Seul corsetier français encore en activité aujourd’hui, Macosa est une rescapée des tempêtes subies par le secteur textile ces dernière années. Car à la barre, son capitaine et dirigeant Philippe Hache a toujours cru à un avenir pour son activité et pour ses collaborateurs. Les différents choix stratégiques effectués par ce dirigeant humaniste ont porté leurs fruits, puisque plus d’une centaine de personnes œuvrent aujourd’hui dans les ateliers. Entre diversification, innovation, et transfert de savoir-faire, Philippe Hache accepté de revenir pour nous sur les challenges relevés, et nous donne sa vision de l’industrie textile du futur.

Dernière entreprise de lingerie et de corseterie en France, vous avez su saisir les opportunités comme la diversification, l’export, mais également l’innovation, pour pérenniser l’activité malgré les difficultés passées. Comment pourriez-vous décrire ce processus d’innovation aujourd’hui au sein de votre entreprise ?

Nous sommes une entreprise familiale, non tributaire de décisions d’un groupe financier extérieur, et cela a sans aucun doute contribué à assurer notre survie durant les périodes difficiles. Face au phénomène de délocalisation amorcé dans le secteur dès 1995, force a été de constater que l’industrie de la lingerie européenne a fait le choix économique d’une production à l’étranger, sans prendre en compte l’impact catastrophique que cela aurait sur notre activité.  A cette époque, dans ce contexte très difficile, il a fallu redonner à mes équipes l’envie de continuer.

Pour cela, il a fallu innover, en premier lieu dans les années 2000, en passant d’une production de masse à une production de petites, voire très petites, séries. Ceci a nécessité une adaptation des savoir-faire du personnel, en passant par exemple d’une activité mono-machine à la maîtrise de plusieurs typologies de machines à coudres différentes, et à une capacité à fabriquer plusieurs produits différents. Avec la fermeture en 2005 de notre entité bretonne, cette diversification s’est encore accentuée puisque nous avons rapatrié une activité de fabrication des marinières de Tricot Saint James et de produits balnéaires chez Macosa. La crise de 2009 ne nous a pas épargné, puisque nous avons perdu alors 52% de notre activité et 33 de nos salariés. Le transfert des activités bretonnes ayant réussi, nous avons gardé cette volonté d’ouverture vers d’autres produits en tête.

Une nouvelle opportunité est venue en 2011 du salon Eurovet, et de notre mise en avant sur l’édition d’Interfilière face à la sous-traitance étrangère. Cela nous a permis de nouer un certain nombre de contacts avec des entreprises européennes voir internationales. Conséquence et deuxième « innovation » à mettre en place : la nécessité de former plusieurs de nos collaborateurs à l’anglais, et surtout à l’anglais technique ! Cela a bousculé les habitudes en interne…mais aujourd’hui, nous allons faire quasi 10% de chiffre réalisés à l’export en prise directe. Choisir de travailler l’export nous a fait beaucoup de bien, la sous-traitance de qualité s’éteint aussi dans les pays voisins, et nous avons une véritable carte à jouer.

Macosa c’est aujourd’hui 105 salariés, un bureau d’études intégré, et peu de concurrence sur le territoire. Intégrer un bureau d’études est une idée née en 2004, une véritable innovation de service pour nous. Aujourd’hui, 5 personnes y travaillent, modéliste, prototypeuse…En capacité de répondre à des demandes très diverses de clients, nous couvrons aujourd’hui des domaines d’activité très éloignés de notre activité historique de corseterie avec du sous-vêtement masculin, des tutus de danses, de la lingerie post-opératoire, du soutien-gorge optimisé pour les sports à risques, etc. Les projets sont nombreux et tous très intéressants, il faut être opportuniste et garder ses troupes motivées.

Alors nous ne nous interdisons rien !

Vous êtes certifié Origine France Garantie, pourquoi avoir fait le choix d’une telle labellisation ?

A l’instar de la nécessité d’avoir un site internet pour être visible sur le marché, il est nécessaire de soigner son image, sa vitrine. Cela rassure nos interlocuteurs.

J’ai en particulier rencontré un japonais sur le salon Première Vision, qui au détour de la conversation m’a demandé dans quelle mesure je pourrais lui prouver que la fabrication serait bien effectuée en France après commande, et pas sous-traitée par ailleurs.  Au Japon, le « Made in France » ne garantit rien ! De nombreuses marques de luxe affichent en effet un label Made in France tout en sous-traitant à l’étranger. La certification Origine France Garantie est la seule qui garantit réellement la fabrication française. Cela a un coût, mais cela est un gage de confiance, notamment avec les interlocuteurs asiatiques.

Nous sommes également labellisés Entreprise du patrimoine vivant. L’effet marketing est très intéressant sur les salons, et nous gagnons du temps dans les échanges avec nos partenaires.

La transmission des savoirs est importante dans votre secteur, et recruter est difficile. Quels sont vos actions pour faire face à ce problème, et plus largement à votre avis les leviers à mettre en œuvre pour améliorer cela ?

L’image de l’industrie au sein de l’Education nationale aujourd’hui est dramatique, fait croire que le taylorisme historiquement existant dans certains ateliers est toujours d’actualité, et que le textile est associé aux plans sociaux. Ce qui est faux !   Résultat, les élèves des Bacs Pro métiers de la mode aujourd’hui n’ont qu’une envie pour la plupart : faire styliste ou modéliste, ce qui est vraiment en décalage avec la réalité des besoins de notre terrain industriel. En parallèle, les départs à la retraite soutenus par certaines initiatives gouvernementales créent une hémorragie de gens formés qui partent des entreprises dès 60 ans. Et il n’y a personne à mettre en face de ces postes vacants.

En collaboration avec le groupement professionnel Mode Grand Ouest, dont Macosa fait partie, nous avons choisi d’anticiper les départs avec un programme de Pôle Emploi appelé « Préparation opérationnelle à l’Emploi ». Celui-ci nous a permis de proposer aux entreprises de l’habillement, et en particulier de la confection,  un accompagnement au transfert de leurs compétences . Chez Macosa, nous sommes allés jusqu’à monter une école de formation en interne, pour essayer d’anticiper les départs en retraite, en recrutant des personnes ayant réellement envie de s’investir sur le marché du travail.  Une à deux fois par an, nous sélectionnons 12 personnes qui intègrent l’école au sein de l’entreprise. Durant trois mois, elles sont formées, avec un formateur interne ou extérieur, afin de leur donner le bagage de connaissances et de savoir-faire minimum. En général, environ 8 personnes sur 12 restent au final dans nos ateliers. Et 4 personnes sur les 8 sont intégrées dans des programmes de formation Prodiat pour aller plus loin.

Transformation numérique et industrie 4.0 sont au cœur des stratégies du secteur, que cela signifie-t-il pour vous ?

Il est absolument vital de redonner une image moderne au secteur si nous souhaitons pouvoir réembaucher des jeunes issus de la formation initiale. Il y a plusieurs années j’avais déjà alerté mes confrères, notamment au sein de Mode Grand Ouest, sur cette nécessité de faire évoluer nos entreprises.

Cette idée a été reprise récemment avec en particulier le concept d’usine du futur, la digitalisation des données de production, les exosquelettes, tout cela étant mis en œuvre sous la bannière du futur projet baptisé Innofabmod (actuellement en cours d’instruction, et coordonné par l’IFTH). Et ce projet intègre un volet important concernant l’évolution du management des équipes, ce qui est primordial.

En tant qu’industriel de l’habillement, quel regard portez-vous sur le métier et sur son évolution ?

Nous avons choisi de penser et de faire notre usine du futur, c’est ce qui nous permet de survivre aujourd’hui.

Pour ma part, je suis curieux de tout. J’ai l’opportunité de participer à certaines commissions innovation de l’IFTH, et je reste toujours étonné de toutes les innovations, idées et concepts qui paraissent au quotidien ! Aujourd’hui, l’envie d’évoluer est là mais la profession ne bouge pas assez vite, les guerres de clochers sont stériles, et surtout il faut se réapproprier la partie sociale du métier.

Par ailleurs, il faut communiquer sur la fabrication française, cela manque cruellement aujourd’hui !  Car la véritable révolution, c’est ce qui se passe sur les réseaux sociaux : où sont fabriqués les produits, par qui, quelle est la traçabilité du vêtement, etc. Les questions qui sont posées aujourd’hui sur la Toile pourraient à terme rééquilibrer le marché. Le risque serait alors de ne pas avoir les effectifs nécessaires pour un retour à une production nationale et de qualité si la demande redevenait réellement importante.

Un produit innovant pour demain ?

Le soutien-gorge avec capteur et monitoring intégré, peut-être ! Mais il faut se méfier des effets de mode, en particulier autour de la question des textiles intelligents. Les technologies autour du bonding, c’est-à-dire du collage, font leur chemin dans notre secteur d’activité, nous suivons également cela.

Propos recueillis par N. Righi – Mars 2018