Mode in Textile

Interview de Pierre-François Le Louët, Président de la FFPAPF

La Fédération Française du Prêt à Porter Féminin est le représentant et le partenaire business des entreprises françaises de mode, et a pour objectif de faciliter le développement des entreprises de mode sur l’ensemble du territoire français, et d’identifier les nouveaux relais de croissance du secteur. Son Président, Pierre-François Le Louët, également Président de l’Agence de prospective NellyRodi, a ciblé cinq priorités, à savoir la digitalisation des entreprises, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), le commerce de gros (wholesale), l’export et le financement. Avec en toile de fond, l’innovation sous toutes ses formes.  Il a ainsi accepté de revenir pour nous sur ce qui fera sans doute la mode du futur.

 Quel regard portez-vous sur l’évolution de la filière textile-mode-habillement française ces dernières années ?

 La filière est confrontée à d’immenses défis, mais fort heureusement elle a de nombreux atouts pour y répondre. C’est une filière très agile, qui a compris de par sa proximité avec les consommateurs que tout cela changeait à la vitesse de la lumière, que les modes de consommation changeaient, qu’il est nécessaire de s’adapter à un nouveau monde porté par de nouvelles valeurs ; ce qui signifie penser la conception, la production et la distribution de produits de manière assez différente que par le passé. Avec des enjeux technologiques importants, car ce monde étant de plus en plus agile, il faut inventer des technologies de plus en plus agiles elles aussi. Il faut également travailler sur la relation humaine, le management des équipes, la constitution de réseaux, qui sont d’après moi tout aussi importants. Et avoir, tant au niveau des entreprises que des fédérations, des liens beaucoup plus resserrés qu’auparavant, pour pouvoir lancer de nouveaux projets, et concentrer les ressources, humaines et financières.

Maintenir l’excellence française et européenne en matière de mode et de créativité passe en grande partie par le soutien à l’innovation, technologique ou organisationnelle ; quels en sont à votre avis les principaux leviers aujourd’hui ?

Il y a tout d’abord une question sur l’organisation, qui est très importante car on a besoin de beaucoup de souplesse, d’agilité, d’horizontalité, de relations resserrées et rapides ; aujourd’hui les relations de business imposent un « ping-pong » permanent entre différents acteurs et il faut adapter les organisations à ce nouveau contexte, qui est différent des process que nous connaissions au cours de la décennie passée.

Côté technologique, l’adaptation à ce nouveau monde, à cette nouvelle manière de faire du business, nécessite de solutions techniques innovantes. Dans ce domaine, nous avons la chance en France d’avoir des acteurs comme Lectra ou autres. Nous avons également la chance d’avoir une culture de l’innovation qui est très développée, à l‘IFTH bien sûr mais également dans beaucoup d’autres organisme, écoles…  C’est un sujet qui intéresse. Tout le monde a compris qu’il y avait un vrai défi pour continuer à développer une fabrication en France, qui nécessitait le lancement de projets ambitieux pour adapter l’industrie à ces nouveaux comportements et ces nouvelles technologies. Celles-ci doivent aider à concevoir des produits plus intéressants pour les consommateurs, sans doute plus personnalisés ; elles doivent aider également à produire plus rapidement, aux différentes étapes de fabrication mais également dans la gestion de la logistique et des flux entre les process de production et de distribution ; enfin elles doivent aider à distribuer plus, plus vite, à être plus efficace dans ce relais auprès du consommateur car d’autres acteurs, Amazon en tête, ont déjà mis en place des solutions.

L’innovation dans notre secteur devient un « impératif catégorique », car bien que notre industrie soit en avance sur la compréhension des attentes des consommateurs, elle n’est pas toujours en mesure d’y répondre avec pertinence. Au sein de l’industrie, il y a bien évidemment les acteurs traditionnels, mais aussi toute une nouvelle génération qui se nourrit de la FashionTech, des starts up qui proposent des solutions de conception, de production, et de distribution qui permettent d’optimiser la chaîne de valeur et le service rendu au client. Ceci est réellement très intéressant, et nous avons ainsi déjà organisé des rencontres sur ce sujet, soit sur le salon Traffic, soit au cours d’afterworks entre les marques et les starts up. Nous avons également des relations privilégiées avec les grands incubateurs parisiens et les organisateurs de grands concours de FashionTech français. La modernisation globale de notre écosystème passe surtout par la « confrontation » avec ces acteurs de la FashionTech, de l’innovation et de la technologie en général, qui vont apporter des solutions aux marques afin de mieux servir le consommateur.

Le développement de la mode écologique et responsable fait partie des axes prioritaires de la FFFPAF, quelles sont les attentes de vos adhérents dans ce domaine et les actions mises en place pour relever ce défi ?

La première action mise en place a été le lancement, avec le soutien du DEFI, d’une première étude sur le développement durable et la mode. Celle-ci a été présentée devant un parterre important lors de la dernière édition de Traffic, et elle a permis d’ouvrir les yeux des marques de mode sur tous les enjeux et de structurer une pensée sur ce qu’est le développement durable et l’éthique dans nos métiers. Cette étude sur la RSE a bien évidemment mis en lumière les insuffisances, mais également l’existence de pratiques assez simples à mettre en place afin d’améliorer rapidement le système (sourcing de proximité, gestion des transports, économie matière, optimisation des plans de collection, etc.). Le rôle de la Fédération est d’aider les marques à prendre conscience de ces changements structurels qui portent la consommation. Nous l’avons fait sur le salon Traffic, et nous avons restitué l’étude dans plusieurs régions françaises, et nous continuerons à le faire l’année prochaine en proposant des workshops aux marques, pour les aider à intégrer au sein de leurs propres processus cette démarche sociétale.

Pourriez-vous nous dire quelques mots sur votre prochaine étude sur la transformation digitale des entreprises de mode ?

Tout ce travail d’étude est assez nouveau, mais les changements sont tels aujourd’hui qu’il s’avère nécessaire. Trois études seront ainsi lancées au sein de la Fédération durant mon mandat : sur la RSE, le wholesale, et la transformation numérique. Cette dernière, toujours lancée avec le soutien du DEFI, sera présentée en novembre prochain à Paris, car il nous appartient aussi d’accompagner les marques de mode dans leur transformation digitale.

Qu’est-ce qui vous a le plus interpellé, surpris, ou conquis ces derniers mois en matière d’innovation technologique ?

Deux axes de réflexion m’intéressent beaucoup : l’analyse de la data, et l’intelligence artificielle. Deux mouvements de fond qui viennent animer l’innovation technologique, et qui se développent dans un grand nombre de solutions proposées aujourd’hui par les starts up aux marques de mode. L’intelligence artificielle propose de nouvelles expériences aux clients, et la data permet d’optimiser la création de valeur tout au long de la chaîne. La grande chance de la mode est sa diversité, et s’il y a un impératif catégorique sur le plan des valeurs qui portent la consommation, il n’y en a pas sur le plan des solutions, et chaque marque choisit sa solution en fonction de sa singularité, de sa spécificité, et de la relation qu’elle souhaite entretenir avec son client.

Comment imaginez-vous l’écosystème textile-mode-habillement français de demain, face aux mutations du monde économique et aux nouveaux modes de consommation ?

 J’imagine un système beaucoup plus horizontal, porté par l’innovation technologique mais aussi par une autre manière de faire du business. C’est-à-dire par des savoir-être, des attitudes, des comportements dans la vie des affaires, qui doivent être plus transparents, plus libres, plus agiles et souvent plus honnêtes. Tout ce que doit nous permettre la technologie devrait déjà être appliqué à l’individu. Soyons d’abord exigeants avec nous-même ! Le monde est ouvert, l’écosystème n’est pas renfermé, et les individus qui évoluent et qui doivent agir dans cet écosystème doivent eux aussi être ouverts et agiles.

Propos recueillis par N.Righi – Septembre 2017