Il y a quelques jours, Violaine Buet comptait parmi les centaines d’exposants au Salon international de la lingerie à Paris. Cette jeune entrepreneuse bretonne était venue pour présenter son travail autour des matières alguées. Un projet d’avenir qui suscite comme elle le confie, “un grand intérêt au niveau national et international”. D’autant plus que des plans économiques forts ont été mis en place en faveur des algues. Pour autant, cette véritable passionnée qui évoque des “joies et des doutes” quant à la “course d’endurance” qu’est son travail, regrette un manque d’encouragements de la part de sa région natale. Rencontre.
- Vous parlez de tissus et créations “algués”, y a-t-il d’autres composants ?
Je parle de matières alguées, c’est à dire principalement en algue. La singularité de ma proposition réside finalement sur cette approche ; apprivoiser et magnifier la matière entière qui me fascine. Être sur une algue intègre, c’est 100% d’émotion, plus on perd le lien au matériau original en le décomposant, plus on s’éloigne de cette émotion là.
En parallèle de cet axe majeur, j’explore aussi d’autres possibles sur des matériaux plus composites, et en collaboration avec des chercheurs cette fois.
Pour mes tissages algués j’associe toujours d’autres fibres en chaîne, cela peut-être du lin ou bien dans un avenir proche, des monofilaments en bioploymères issus de micro-organismes marins qui accorderont leur durée de vie à celles des algues. J’aime beaucoup ces pistes qui métissent matières ancestrales et matières “cérébrales”, qui vont cohabiter puis mourir ensemble… Ce sont des matériaux intenses.
- Qu’est-ce qui vous a amenée aux algues ?
Le désir de travailler une matière en mouvement, une période de transition qui m’a rendue à l’écoute, et fait regarder ce que j’avais toujours eu sous les pieds (je suis Finistérienne). Un désir profond de nature et de “simplicité complexe”.
- Comment vous est venue l’idée d’en faire du textile ?
J’étais en formation continue à l’Ensad à Paris pendant un an (2015-2016) en design textile et matières, c’était donc un moment dédié à une recherche textile.
- Votre formation aurait pu vous orienter vers d’autres créations à partir de ce matériau, pourquoi le textile ?
J’ai toujours eu une approche couleurs et matières, et au sortir de mes années ensciennes (création industrielle) je me suis tout de suite inscrite en cours du soir en création textile à Duperré. Mes sept années indiennes ont sûrement ensuite continué à nourrir cet attrait.
J’aborde actuellement les algues via le textile, je crois que j’aime spécialement le textile car c’est le début d’une histoire, que d’autres peuvent poursuivre à leur tour.
Mais je suis tout à fait partante pour donner naissance à une série d’objets, d’accessoires… il me faut les bons partenaires. Je trouve que nos manières de segmenter les disciplines sont des freins à l’innovation. Être designer c’est sans doute toujours provoquer des porosités, et proposer de nouvelles identités, des métissages. Au fond c’est une histoire de rencontres. Pour moi les équipes d’avenir sont multidisciplinaires : créatifs, techniciens, scientifiques, littéraires…
- Vous souhaitez en faire un tissu dédié à l’univers de la lingerie. Celui-ci uniquement ? Pour quelles raisons ?
Comme toute proposition avant-garde, un matériau surprenant a besoin de faire son chemin et laisser les consommateurs se familiariser avec. Je pense que les algues en tant que textile franchiront d’abord l’univers de la maison, puis se rapprocheront du corps, avec l’accessoire, puis le prêt-à-porter, enfin la lingerie.
Même si mon approche est assez artistique et artisanale, je savoure le fait de dialoguer avec l’industrie pour certains développements en cours qui me passionnent.
Je rêve que cette histoire commune s’écrive lentement, pour qu’on ait le temps et l’intelligence d’un système innovant jusqu’à la manière de gérer sa ressource. C’est dans cet état d’esprit que nous sommes en train de monter une plateforme européenne autour des algues “The department of seaweed” sous l’impulsion d’une équipe multidisciplinaire basée en Allemagne.
- Quelles sont les qualités des algues en tant que textile ?
Elles ont des propriétés de ‘bien-être” : hypoallergéniques, antibactériennes, antifongiques, antioxydantes.
Quant aux propriétés mécaniques, elles dépendent des espèces et des traitements apportés aux algues. Il existe, juste pour la Bretagne, près de 700 variétés différentes de macro-algues, qui passent chacune par des états très différents.
- Quiconque a déjà ramassé quelques algues sur le bord de la plage sait que l’odeur n’est pas toujours agréable. Cela n’est-il pas contraignant quand on envisage d’en faire du textile ?
Je sais gérer le problème des odeurs avec les algues utilisées pour le tissage. Pour d’autres j’y arrive moins bien. C’est une des étapes de recherches et développement pour lesquelles il faut que je trouve un budget.
- Elles sont aussi biodégradables, quelle est leur tenue dans le temps ?
3 à 5 ans. Avec des apprêts, cela peut être plus. Cette saisonnalité pourrait sans doute s’accorder au rythme de vie de nos gardes-robes, de nos mouvements intérieurs, de nos déménagements. On est encore loin de la mise au point de ce matériau là mais j’imagine assez bien que l’on tende doucement vers des matières qui ne nous appartiendraient finalement pas, car elles retourneraient à la terre.
- Comment se travaillent-elles ?
J’ai établi mon propre protocole de traitement, découpe, ennoblissement, qui fonctionne à un rythme artisanal presque expérimental. J’ai encore des étapes de recherches et développements à résoudre. Je n’ai pas encore trouvé le bon cadre pour mener cette recherche dans de bonnes conditions, avec la bonne envergure, mais les choses font leur chemin.
- Parlez-nous de l’ennoblissement.
C’est un dialogue avec la matière, une magnification mutuelle entre la matière et la main.
Les algues en milieu naturel sont, à mes yeux, somptueuses, regardez des vidéos sous-marines où elles ondulent. Vouloir les ennoblir c’est commencer à écrire un langage commun, ouvrir un espace esthétique partagé.
- Vous utilisez aussi la technique du Block Print. De quoi s’agit-il ?
C’est une technique d’impression traditionnelle et artisanale, encore bien répandue en Inde du nord. Une impression à la planche. Je m’y suis formée en passant beaucoup de temps dans un atelier de Bangalore.
Retrouvez Violaine Buet sur son site https://violainebuet.com
Janvier 2018