Mode in Textile

Interview de Yves Dubief, PDG de la société Tenthorey

La société Tenthorey fait partie de ces PME qui étonnent par leur résilience et leur capacité d’adaptation : plus de cent ans d’âge et toujours une envie d’innover, une capacité à affronter les tempêtes, à oser se démarquer et à proposer de nouvelles solutions. A la manœuvre depuis plusieurs années, Yves Dubief, petit-fils du fondateur et fervent défenseur de l’excellence textile française. PDG de l’entreprise familiale et actuel président de l’Union des industries textiles (UIT), il participe également à la gouvernance de divers organismes professionnels nationaux et régionaux, et pilote le plan industriel gouvernemental dédié aux textiles techniques et intelligents. Ce passionné d’innovation textile œuvre ainsi au quotidien pour la croissance de l’activité en France.

Développement durable, personnalisation… vos choix stratégiques portent leurs fruits. Tenthorey a fêté ses 110 ans d’activité l’année dernière, comment insufflez-vous encore l’envie d’innover aujourd’hui au sein de votre entreprise ? Finalement quel est votre secret de longévité ?

L’entreprise a été fondée par mon grand-père Victor Tenthorey, et génération après génération, l’actionnariat familial est resté stable. Et notre philosophie pourrait se résumer à « oser toujours, changer parfois, renoncer jamais ».  Investir dans une nouvelle usine et rebondir après une catastrophe naturelle en 2013 en est un bon exemple ! De manière générale, il faut oser faire des choses même si l’on est pas sûr que cela marchera, le faire de manière réfléchie pour ne pas mettre en péril l’équilibre de l’entreprise, mais prendre des risques, oser, avancer.

La jeune génération recrutée part d’une page blanche et imagine de nouvelles solutions. Car Tenthorey est une société qui apporte des solutions. Par exemple, face à la problématique de l’interdiction des sacs plastiques, nous mettons en place une proposition de sacs tissés en coton et coton biologique. Aujourd’hui, nous en fabriquons presque 3 millions de pièces par an. Les modèles proposés sont ludiques avec des illustrations représentant la France, Paris, ou encore le Petit Nicolas (en association avec les Pièces Jaunes de la Fondation Chirac), et sont fabriqués selon des cahiers des charges plus ou moins exigeants selon les acheteurs. Nos produits textiles ont toute leur place aujourd’hui sur ce marché de renouvellement. Au-delà du côté traditionnel de l’activité de Tenthorey -au départ le tissu coton écru – il est nécessaire de franchir des étapes, des caps, pour rester compétitifs et différenciants sur le marché. Nous ne vendons plus seulement du tissu, mais intégrons une étape de plus dans la chaîne de production textile avec la fabrication de produits finis comme ces sacs.

Autre solution en cours de développement, un sac durable mais également connecté avec une application sur smartphone, qui pourrait devenir un véritable assistant shopping grâce aux différents services proposés aux consommateurs. Nous travaillons avec différentes sociétés apporteuses de technologies en France pour réfléchir à ces produits du futur. Et avant tout, nous essayons d’avoir une meilleure connaissance du marché, en allant directement chercher l’information auprès de consommateurs, au-delà du B to B exercé aujourd’hui.

Enfin nous prenons des participations dans des start-up qui se lancent sur le créneau des textiles innovants, afin de leur faire profiter de nos retours d’expériences. La transmission se fait ainsi au sein de l’entreprise mais également à l’extérieur.

Les textiles techniques représentent une des activités industrielles qui connaît une belle progression depuis plusieurs années en France. Après une année 2016 globalement satisfaisante, vous êtes optimiste pour la croissance de l’activité sur 2017. Quels sont selon vous les éléments clés de ce succès ?

La croissance de l’activité textile en France est effectivement stable, et portée en particulier par une forte dynamique des textiles techniques ou à vocation technique. Ceux-ci représentent quasiment 50% du chiffre d’affaires textile généré en France aujourd’hui. Ceci est le résultat d’une part d’une forte dynamique des entrepreneurs français, mais également de l’intégration de ce domaine d’activité dans l’action gouvernementale pour la Nouvelle France Industrielle, à travers la récente solution « Objets intelligents » (qui reprend l’ancien plan « Tissus techniques et intelligents » créé en 2014). Depuis deux ans maintenant, un appel à projet doté de 20 millions d’euros a été mis en place et a permis à 7 consortiums d’entreprises* de bénéficier de ces financements, et donc de lancer un certain nombre de projets afin de développer les produits et applications de demain. Cette aide de l’Etat se concrétise également grâce aux centres de recherche comme l’IFTH, mais aussi aux pôles de compétitivité, aux écoles comme l’ENSAIT,  l’Institut Français de la Mode (IFM), ou encore au CETI…  Il existe un véritable écosystème solide et dynamique qui permet d’être optimiste pour l’avenir.

L’international est également un relais de croissance important. En effet, le textile français représentait en 2016 un peu plus de 13 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 8 réalisés à l’export, que ce soit avec les pays proches européens, le pourtour méditerranéen, l’Amérique du Nord ou encore l’Asie, à la fois pour des produits techniques et pour ceux dédiés à la mode.

En tant que président de l’UIT, l’innovation fait partie intégrante de vos priorités sur la période 2016-2018 ; pourriez-vous nous dire quelques mots des principaux axes de travail définis sur ce thème ?

L’innovation est ancrée dans l’ADN de l’UIT, elle est au cœur de la stratégie du secteur, qu’elle soit technologique ou un peu plus marketing. A titre d’exemple, le recyclage fait partie des axes de développement importants, avec des actions mises en place avec la Filature du Parc, les Tissages de Charlieu et le groupe HappyChic (collecte de vêtements usagés retransformés en nouveaux produits). Par ailleurs, nous gérons depuis 2014 le Prix Théophile Legrand qui récompense chaque année une innovation textile au service de l’industrie et une innovation textile au service de l’Homme. Et les domaines d’innovation sont tels qu’il ne faut plus seulement envisager la concurrence uniquement avec la fabrication asiatique, ou entre produits textiles, mais il faut intégrer la concurrence avec d’autres secteurs comme la plasturgie ou le papier par exemple.

De manière générale, l’UIT s’est engagée à agir en faveur de crédits d’impôts efficaces et adaptés à la taille des entreprises, de la promotion des aides financières publiques dédiées à l’innovation (BPI France), du développement de l’activité des pôles de compétitivité textiles (Techtera, Up-tex, Energivie), de la participation d’entreprises françaises à des programmes de RDI européens dans le cadre du programme « Horizon 2020 » et, comme nous l’avons déjà évoqué, de la dissémination en régions des opportunités offertes par le plan gouvernemental Nouvelle France Industrielle. Un point important de cette stratégie est bien entendu d’assurer la pérennité des activités de l’IFTH, que l’ensemble de la profession s’est engagée à soutenir pour l’avenir. L’Institut donne de la visibilité et de la crédibilité aux projets. N’oublions pas que sa présence donne de la force au secteur, sans ce centre technique dédié, nous n’aurions sans doute pas eu accès aux financements gouvernementaux. Pour les entreprises, cela leur donne la possibilité d’accéder à une aide financière optimisée via le crédit d’impôt recherche puisque les prestations réalisées par un centre technique et éligibles au CIR sont imputables au double de leur valeur. Le regard change sur le textile, notre capacité d’innovation est largement reconnue aujourd’hui, continuons dans ce sens !

* Les 7 projets sélectionnés :

 

Propos recueillis par N.Righi – Novembre 2017