Fleuron de l’industrie textile française et spécialiste des tissus techniques, le Groupe Dickson regroupe les entités Dickson Constant, Dickson PTL, et Dickson Saint Clair.
Nommé à son poste actuel de Président du Groupe Dickson en 2005, Eugène Deleplanque est par ailleurs administrateur du Groupe Glen Raven, un des leaders mondiaux du textile technique, propriétaire du Groupe Dickson depuis 1998. Il est également membre du conseil d’administration de l’Union des industries textiles (UIT), représentant de l’industrie textile au sein du MEDEF, et membre du conseil d’administration de l’école d’ingénierie textile ENSAIT.
Visionnaire, pragmatique et curieux, Eugène Deleplanque met l’innovation au cœur de la stratégie d’entreprise, et croit avant tout au potentiel de ses collaborateurs pour faire grandir l’entreprise. Un passionné qui s’entoure lui-même d’autres passionnés, et qui croit fermement à un avenir optimiste du secteur en France et à l’international.
- Le Groupe Dickson mise sur le design et l’innovation technologique pour assurer son leadership sur des marchés concurrentiels, internationaux, et souvent très normés et réglementés. Comment cela se traduit-il dans son organisation ?
Il est important d’avoir une vraie définition de l’entreprise : qui est-elle, quel est son métier, quels sont ses marchés. Agir tous azimuts revient à prendre le risque de se perdre. Le nombre de projets doit être limité, nous ne développons ainsi au maximum qu’une dizaine d’idées produits en même temps. L’important pour notre Groupe, c’est de se différencier. La stratégie du groupe Glen Raven, qui s’applique au Groupe Dickson, s’appuie sur deux axes, intimement liés : l’innovation, et le développement international.
Si nous souhaitons produire comme nous le faisons dans des pays développés, tels que les USA ou l’Europe, il est obligatoire de développer des produits innovants afin de se démarquer de nos concurrents. Sans cela, nous allons automatiquement vers une guerre des prix. La signature de notre marque Sunbrella est « Design et performance ». Elle représente bien le mélange entre design et innovation nécessaire pour consolider notre position de leader sur nos marchés actuels, et pour conquérir de nouveaux marchés.
Très souvent les coûts de développement d’un produit sont très élevés, que ce soit en coûts de R&D, design, développement industriel, marketing, …nous avons besoin de pouvoir amortir ces coûts sur des marchés relativement importants, avec un potentiel de volume intéressant. Si nous restons franco-français, la taille du marché limite très souvent nos investissements en R&D, en particulier sur des micro-niches. L’international nous permet d’obtenir les volumes de marché nécessaires pour amortir ces investissements.
- Flexibilité et audace sont également des mantras de la Société. Cela vous a mené en particulier à vous affranchir des frontières qui existaient entre textiles indoor et outdoor. Etre « open » sur tous les sujets, c’est pouvoir faire la différence, garder une longueur d’avance ?
Nous avons envoyé une quinzaine de nos chercheurs R&D et responsables marketing sur le salon Consumer Electronic Show de Las Vegas de janvier 2018, ce qui pourrait paraître bien éloigné des préoccupations d’une société textile « traditionnelle ». Il s’agit de donner le sens de l’innovation aux acteurs de l’entreprise. L’innovation est avant tout un état d’esprit, on ne se déclare pas un jour innovant ! Il faut mettre en place le système et développer cette culture au cœur de la société.
A partir du moment où l’on développe un nouveau produit, le jour de sa mise sur le marché il est quasiment déjà obsolète. La durée de vie d’un produit est à peu près connue. Dès qu’il est commercialisé, vos concurrents le connaissent, et le copient. Avant même de le mettre sur le marché, il faut réfléchir à son successeur. Chez Dickson, nous récupérons l’ensemble des idées de nos collaborateurs. L’innovation ne vient pas que de la R&D, elle peut venir de n’importe quel métier. Elle peut être technologique ou de service. Des boîtes à idées sont à disposition chez nous, et chacun de nos collaborateurs peut participer à la stratégie d’innovation du Groupe. La motivation est créée via des petits challenges internes, jusqu’à avoir la satisfaction de voir son idée développée et commercialisée.
Pour exemple de résultat, chez Dickson Constant, le cœur de métier était défini comme «le textile technique pour la protection solaire et le bâtiment». Or une idée a été remontée par un de nos employés, pour développer des revêtements de sols. Si celle-ci a été rejetée dans un premier temps, car en dehors de notre cœur de métier, il est parfois utile d’avoir un autre regard sur ces idées « hors cadre ». Finalement, elle a fait son chemin, la faisabilité a été étudiée, un ingénieur a été embauché, suivi d’un expert du secteur pour approfondir nos connaissances du marché. Le projet a été extrêmement compliqué à mettre en œuvre en interne, et nous a poussés à élargir la définition de notre métier pour plus de cohérence ; Dickson Constant est donc devenu « fabricant de textiles techniques pour l’amélioration de l’habitat ». Il nous aura fallu 5 ans pour développer notre revêtement de sols tissé. Et nous sommes très satisfaits de notre développement commercial dans ce domaine aujourd’hui !
- Premier fabricant de la toile photovoltaïque, où en êtes-vous aujourd’hui du déploiement de vos premiers produits « intelligents » et quelles sont les difficultés rencontrées pour de tels produits sur le marché ?
L’objectif initial du projet de développement de toile solaire était de pouvoir récupérer l’énergie solaire sur des bâtiments et de la revendre à EDF. A l’époque, les tarifs étaient intéressants, or ce n’est plus le cas aujourd’hui, la filière photovoltaïque ayant été fortement affectée par les décisions concernant le prix de l’électricité renouvelable. En parallèle, un de nos clients du secteur de la marine avait un problème très concret d’alimentation électrique des bateaux amarrés au port. Nous avions la solution à ce problème avec notre toile photovoltaïque, et nous travaillons donc avec les fabricants de bateaux pour commercialiser cette solution.
Par ailleurs, nous avons commencé à travailler sur d’autres solutions que le tissu laminé avec cellules photovoltaïques, et développons maintenant des toiles photovoltaïques enduites à destination de nouvelles applications.
- Intégrez-vous le client au cœur de votre processus de création du produit ? La personnalisation, la « mass customisation » des produits sont-elles des relais de croissances essentiels aujourd’hui ?
Le client est au cœur de toutes nos décisions. Nous travaillons avec lui, pour lui, sans client pas d’activité. Si nous ne l’intégrons pas en amont du processus de création des produits, le prototype de produit est systématiquement présenté à un panel de clients pour savoir si cela répond à leurs besoins.
Quant à la personnalisation, elle représente 50% de notre chiffre d’affaires aujourd’hui. Nos collections sont disponibles sur stocks, et les livraisons sont extrêmement rapides. Mais 50% de notre activité sont générés par des demandes design spécifiques de nos clients.
- Comment percevez-vous l’évolution de la filière textile ?
Nous allons avoir de plus en plus besoin de textiles techniques. Et il va donc falloir collaborer avec de plus en plus d’autres industries. Le textile technique est une industrie du futur à part entière, il est un véritable relais de croissance. Les entreprises qui investissement massivement dans le textile sont souvent des entreprises hors secteur : automobile, aéronautique, santé…Ceux qui feront le textile demain ne le savent peut-être même pas encore aujourd’hui !
Les sociétés textiles qui réussissent aujourd’hui sont celles qui ont investit sur leurs outils, mais également en R&D, en design, en marketing. Celles qui sont tournées vers l’innovation et l’international ont toutes leurs chances. Je pense également que l’activité textile va revenir en Europe, car c’est aujourd’hui une aberration de faire appel aux circuits longs, économiquement et environnementalement très couteux, et contraires à la flexibilité demandée par les industriels actuellement. Pouvoir produire et facturer dans la même devise va devenir essentiel, la variation des taux de change étant une variable impactante majeure de l’activité.
La filière textile européenne n’est pas morte, bien au contraire. Et l’ensemble des acteurs, qu’ils soient entrepreneurs, syndicats professionnels, organismes de formation, centre technique ou autres, collaborent de plus en plus ensemble pour trouver les idées nouvelles qui feront le futur de notre industrie.
- Quels sont les atouts majeurs du textile français aujourd’hui sur la scène internationale, et à contrario quels sont les défis qui restent à relever pour assurer la croissance du secteur ?
Les français sont extrêmement créatifs et ils ont cette capacité hors normes à réussir alors même que les charges imposées par le système administratif peuvent être parfois très lourdes, et des entreprises s’en sortent particulièrement bien.
Nous avons donc finalement tous quelque part une certaine culture générale de l’innovation, car elle est nécessaire pour s’adapter aux difficultés inhérentes au système économique existant. Le Gouvernement actuel semble avoir pris conscience de la nécessité d’alléger un peu ce système, afin de revaloriser cette industrie française, en particulier textile, de la rendre à nouveau attractive, et performante à l’international. Nous avons besoin d’une économie solide, et pour cela il nous faut des industries en capacité d’investir.
Propos recueillis par N. Righi – Mars 2018
Crédit photos: @Dickson