Créateur et fabricant 100% français d’accessoires textiles de mode, la Société Choletaise de Fabrication (SCF) propose des lacets, des sangles, des dentelles ou encore des galons. Proposant une large gamme de solutions, grâce à ses cinq procédés de fabrication (tressage rapide, tressage lent sur métier bois, tressage jacquard pour les dentelles, tissage et tricotage), la SCF travaille sur mesure pour ses clients, qu’ils soient du monde du luxe, du prêt-à-porter, ou encore du vêtement de travail et de la chaussure.
Reprise en 2010 par Olivier Verrièle, elle affiche depuis de nouvelles ambitions, entre tradition et modernité, innovation et empirisme. Olivier Verrièle nous en dit un peu plus sur le quotidien de cette belle PME française, ses challenges, ses réussites, et ses projets.
L’activité de votre entreprise repose sur des métiers et savoir-faire historiques. Vous êtes d’ailleurs labellisés Entreprise du Patrimoine Vivant depuis 2012. Pourtant vous avez réussi à insuffler l’envie d’innover au sein de la SCF, était-ce une évidence ?
Chose surprenante, nous adorons la routine au sein de la SCF ! Celle-ci permet en effet de ne pas perdre de temps, d’avancer sans oublier des éléments, de se poser un minimum de questions au quotidien.
Pourtant, pour ma part, cela était effectivement une évidence d’intégrer la notion d’innovation. Mais le concept d’innovation est à géométrie variable, et chacun intègre une certaine forme d’innovation selon son environnement, ses contraintes, son expérience, etc. J’ai souvent dit que l’innovation pouvait se définir comme « 1% d’idées, 20% de rencontres, et 79% de sueur ». Et si elle est souvent associée à une lecture très scientifique et associée à une échelle de maturité technologique (TRL), pour notre part nous développons au sein de la SCF une forme d’innovation très pragmatique.
Pour exemple, lorsque nous remettons en état une machine en bois datant de 1830, à l’arrêt depuis une quarantaine d’années, et que nous redécouvrons à tâtons son fonctionnement et finalement tout son potentiel, je considère qu’il s’agit d’une forme d’innovation même si le process est empirique. Parfois il ne subsiste quasiment aucune trace du mode d‘emploi de telles machines, il faut finalement recréer tout un univers pour les faire fonctionner et les valoriser à nouveau.
Vous misez sur la valeur ajoutée, la personnalisation, et l’innovation, comment cela se traduit-il au quotidien au sein de l’organisation de la SCF ?
Nous travaillons sur un premier axe essentiel : « le qui fait quoi ». Plus globalement, il s’agit d’amélioration continue des process, en se challengeant éventuellement aux méthodes éprouvées dans l’autres secteurs comme l’automobile ou même la fabrication de chaussures, avec des usines extrêmement automatisées. La thématique de l’industrie 4.0 est aujourd’hui au cœur de nos réflexions, et nous nous y intéressons de façon concrète en particulier avec l’IFTH. Cette typologie d’innovation va permettre de faire des plus petites séries à plus hautes valeur ajoutée par exemple, mais également d’apporter plus de flexibilité aux process, de réduire les délais de production, pour répondre aux évolutions des marchés. En travaillant ainsi, là où nous mettions parfois huit semaines pour fournir un échantillon auparavant, nous proposons actuellement la prestation en cinq jours ouvrés ! Le client d’aujourd’hui attend un produit unique mais avant tout un service de qualité.
Notre deuxième axe de travail est l’innovation appliquée aux machines. Dans notre secteur, les acteurs industriels sont, à mon sens, souvent précurseurs sur ce type d’innovation. Une entreprise comme la SCF compte à minima 7 ou 8 machines innovantes, imaginées et créées par nos propres équipes opérationnelles afin de répondre à nos besoins. De l’expérience et du métier naissent concrètement la machine. Je peux vous citer l’exemple d’un automate créé de toutes pièces en interne, pour le perçage des sangles, qui nous a permis de sauver un de nos marchés. C’est encore une fois une forme d’innovation très « applicative ».
Enfin, à l’image de nos clients du secteur du luxe, qui souhaitent toujours se renouveler, nous avons mis en place un système de collections. Au-delà du « simple » fait de fabriquer de nouveaux produits, il s’agit également d’orchestrer toute une communication, et de développer les aspects marketing et commerciaux. Nous n’avions pas de marque, et pourtant nous avons choisi d’aller dans cette voie. Un chef de projet se consacre à cette activité en interne, et nous collaborons avec des stylistes qui viennent challenger nos produits, nos savoir-faire, voir nous pousser à fabriquer des produits que nous ne savions pas faire. Nous sortons ainsi 400 produits par an (200 par collection), avec une mise en scène dédiée comme les maisons de luxe : photos, books, diffusions via des showrooms lors des principaux salons de Paris, Milan et Munich. La SCF devient alors un bureau de style appliqué, un fournisseur de solutions, qui accompagne le client de l’idée à la production d’un échantillon spécifique.
Pour gérer la complexité d’une telle organisation, nous avons été contraints d’affiner énormément notre façon de travailler, afin d’optimiser les arbitrages entre sorties de production et collections. Sur tous les process, nous restons dans l’amélioration continue. La communication interne est essentielle pour transformer chaque changement en opportunité, et l’ensemble des équipes se sent impliqué.
A noter que la collection de janvier 2018 présentera de beaux imprimés en sérigraphie, et beaucoup de nouveautés fabriquées sur les vieux métiers dentelles, style art déco, vieux motifs, avec des jeux de couleurs.
Vous avez misé sur le design pour innover dans le cadre des projets Bobine et Banc 3.0, pourriez-vous en dire quelques mots ?
L’innovation peut se faire en mode process, comme décrit précédemment, mais également en mode projet. Un premier projet est né en 2010, autour d’un accompagnement du R3iLab et d’une rencontre avec le designer François Azambourg. Nous souhaitions concevoir un produit mobilier à travers le design, une voie de diversification possible de nos marchés. Nous avons fini par déposer un brevet en collaboration avec un centre technique hors textile, le CETIM, qui joue sur le comportement disparate que vont avoir certaines matières à la chaleur. Un fil textile chauffant va agir sur un polymère, sous une couche protectrice, et nous avons ainsi réussi à fabriquer un tabouret, mais également une lampe, des cintres, etc. La preuve du concept a été réalisée, mais le projet n’a pas été lancé commercialement, le time to market n’étant pas au rendez-vous.
D’autres choses ont été tentées, nous avons par exemple fait le tabouret TABCORD, intégrant du bois, ou encore une chaise outdoor /indoor baptisée STRAP, élue produit de l’année 2015 par le London Design Museum.
Concernant le Banc 3.0, l’idée originale est née d’une rencontre avec une chercheuse du MIT à Boston, Sheila Kennedy, intéressée par l’utilisation du textile pour toutes les problématiques énergétiques et sociétales, et Paul de Montclos, dirigeant de la société Garnier Thiebault. Après plusieurs réflexions, et idées de développements possibles, le concept du banc 3.0 est en fait une déclinaison moderne des fameuses cabines de plages. L’aventure s’est poursuivie avec Armor Technologies, une ETI nantaise qui mis au point une encre spécifique utilisée pour créer des bandes photovoltaïques. Garnier Thiebault et SCF ont réussi à tisser la fibre optique utilisée. L’insertion des câbles électriques à la manière d’une création de Beaubourg a également été source de discussions et de tests, tout comme l’intégration de la source photovoltaïque via une matière souple, effectuée en collaboration avec la société AD Confection, un véritable challenge. Une start up nantaise, Structures, a développé quant à elle le plug & play nécessaire pour terminer le prototype présenté cette année. Il n’est pas encore industrialisable, mais le projet se poursuit entre les différents acteurs.
Nous avons cité le concept d’industrie 4.0, que cela signifie-t-il pour vous ?
Un réel constat s’impose dans notre secteur : nous avons du mal à recruter chez les jeunes. Pour cela, il faut réussir à recréer des conditions qui leur donne envie de s’impliquer et de participer à une nouvelle dynamique. Cette idée est à la génèse du projet déposé dans le choletais autour de l’industrie 4.0, baptisé Innofabmod, et initié par le Comité Innovation du groupement Mode Grand Ouest.
Aujourd’hui, le projet est coordonné par l’IFTH, avec pour objectifs de dynamiser l’innovation en co-conception et assemblages des matériaux souples (création d’un cluster), guider les fabricants du luxe dans leur mutation technologique vers l’usine du futur, et doter la filière de nouvelles solutions développées, expérimentées et validées par les 6 PMEs « pilotes » de l’opération, dont la SCF fait partie. A nous maintenant de travailler en mode « projet » alors même que nous avons l’habitude de travailler en mode « production ».
Mais avant tout, ce travail de réflexion crée l’opportunité de faire de belles rencontres, parfois très inattendues, très enrichissantes, et qui génèrent la confiance nécessaire à l’innovation participative.
Propos recueillis par N. Righi – Janvier 2018