Pour réussir et atteindre ses objectifs, il faut chaque jour viser l’excellence.
Plus qu’une devise, c’est l’état d’esprit revendiqué par le groupe Chamatex qui a permis à la petite PME créée en 1980 de s’adapter aux mutations du marché, de se transformer pour se positionner sur trois principaux marchés à forte valeur ajoutée (sport, textiles techniques, et ameublement), et de devenir un groupe industriel de près de 150 salariés, reconnu pour sa créativité, sa maîtrise industrielle et la qualité de ses services.
Aux commandes, un dirigeant à l’ADN ancré dans l’industrie, passionné par l’envie de concevoir des produits performants. Gilles Réguillon a racheté Chamatex en 2011, et n’a depuis eu de cesse de mettre en œuvre une ambitieuse stratégie de développement en investissant sur quatre leviers : l’innovation, la diversification, l’internationalisation, et la croissance externe en intégrant trois entreprises aux savoir-faire complémentaires. Son objectif : ne jamais cesser d’innover et de consolider les chaînes d’approvisionnement et de fabrication car « plus on est proche du consommateur, plus on maîtrise son destin ».
Si la croissance du groupe profite depuis 2015 du déploiement exponentiel de son textile breveté MATRYX® sur le marché du sport, Gilles Réguillon a en permanence les yeux tournés vers l’avenir. Deux lignes de fabrication automatisée de masques textiles ont ainsi récemment été créées pour pérenniser la nouvelle activité Santé, avec une offre de masques textiles grand public mais également un tout nouveau masque spécifiquement créé pour les sportifs et développé avec plusieurs partenaires. Et le lancement cette année de l’Advanced Shoe Factory 4.0 (ASF 4.0), une usine ultra-moderne de fabrication de chaussures de sport unique au monde, permettra de concrétiser un projet de relocalisation unique en France. Gilles Réguillon revient pour nous sur une stratégie gagnante solidement ancrée sur la confiance, la prise de risque, et le travail d’équipe.
Alors que plusieurs industriels ont choisi de stopper l’activité masques, pourquoi avoir choisi de pérenniser cette fabrication au sein de votre filiale Rocle, avec un investissement important de près de 700 000 euros ?
La mobilisation spontanée et collective des industriels textiles français pour protéger la population a mené notre groupe à vendre près de huit millions de masques en quelques mois. Ces circonstances exceptionnelles ont généré un chiffre d’affaires, et une marge non prévisible. Dans un tel cas de figure, il existe deux possibilités : soit simplement inscrire ce business éphémère au bilan, soit renforcer l’activité car il est fort probable que cette pandémie présente des rebonds, ou que d’autres virus apparaissent dans les années à venir. Nous avons choisi de profiter de cette trésorerie générée pour investir de façon durable dans la fabrication de masques afin d’être capable de répondre aux besoins des personnes, aujourd’hui et demain.
La société Rocle, acquise il y a maintenant deux ans, a été intégrée au sein du groupe Chamatex en n’étant présente que sur le marché de l’ameublement. Or il me semblait intéressant de diversifier son activité et de développer une « business unit » dédiée à la santé. La fabrication de masques s’est révélée une opportunité pour concrétiser cette stratégie. La décision d’investir a été rapidement prise, avec l’acquisition d’une machine automatique permettant de terminer les commandes des gros volumes de masques dès la fin du premier confinement. Elle produit aujourd’hui les masques Rocle de catégorie 1, avec une version bicouche et une version monochouche. Cela nous permet d’être indépendants de l’étape de confection, puisque ce n’est pas notre cœur de métier, et c’est un choix qui nous différencie d‘autres industriels français qui eux ont investi dans des ateliers de confection pour assurer la pérennité de leur activité.
Pourriez-vous nous présenter votre dernier projet d’innovation produit, le masque dédié aux sportifs tout juste commercialisé en février 2021 ?
Durant le mois d’avril dernier, Chamatex étant déjà très présent dans le domaine du sport, j’ai eu assez tôt la conviction qu’il serait intéressant de concevoir un masque spécifique et plus respirant pour les sportifs. Nous avons travaillé avec le groupe d’ingénierie lyonnais Zebra, et l’équipementier Salomon, partenaire et client historique de Chamatex, sur le développement de ce nouveau produit. Une véritable course contre la montre s’est engagée, puisqu’en seulement neuf mois, nous avons imaginé, prototypé, testé et amélioré le masque, mais également déposé un brevet. Dans le même temps, nous avons conçu la machine capable de le produire de façon automatisée grâce à la découpe laser et au soudage par ultrasons. Le produit final est très innovant, avec une grille de ventilation et des soufflets d’aération. Nous pourrions faire une comparaison sportive en le nommant « la Formule 1 des masques ».
Reste aujourd’hui à transmettre le bon message au consommateur car nous évoluons au sein d’un environnement particulièrement changeant depuis un an concernant les masques, avec des référentiels et des protocoles souvent adaptés à la situation sanitaire et aux contraintes économiques. Il est très compliqué, en tant qu’industriel, de gérer cette incertitude et ce manque de visibilité, avec des questions récurrentes sur les emballages, les étiquettes à mettre ou pas sur les masques, etc.
Le masque sport est aujourd’hui commercialisé par Chamatex auprès de Salomon mais nous pourront le proposer à d’autres acteurs demain. La ligne de production est située chez Rocle, qui devient ainsi le centre de compétences « santé et masques » du groupe, une entité autonome avec une équipe de production dédiée, deux lignes automatiques, et une ingénieure sur place pour les phases d’industrialisation. C’est un cercle vertueux qui s’est mis en place au sein du groupe, puisque que toutes nos entités sont impliquées : Chamatex pour la fabrication du tissu, la Teinture des Cèdres, et enfin Rocle pour la partie confection. Sans cette décision d’investir, nous serions incapables de répondre aujourd’hui à la demande sur les masques textiles grand public ou le masque sport. Et cela nous permet d’investiguer l’activité « produit fini » et non plus seulement celle de fournisseur de solutions textiles.
L’annonce de la création d’ASF 4.0, usine ultra-moderne dédiée à la fabrication automatisée de chaussures de sport, a suscité la surprise autant que l’engouement de la filière ; pourriez-vous nous expliquer pourquoi avoir choisi d’investir dans un tel projet en France ?
Chaque dirigeant a sa propre vision de l’usine idéale, imaginée selon ses convictions. J’ai racheté Chamatex en 2011, après en avoir pris durant 5 ans la direction du département Tissus techniques puis la Direction générale. Mais auparavant, je n’évoluais pas dans ce secteur, je ne suis pas ce que l’on appelle un textilien. Ma vocation personnelle n’était pas de créer des tissus mais de créer des produits. Cela explique le profil du groupe Chamatex aujourd’hui. Il y a une dizaine d’année, Chamatex fabriquait du tissu, avec peu d’intégration dans le sport ou dans le textile technique. En moins de dix ans, le business model a été complètement revu.
Lorsque j’ai pris les commandes, j’ai choisi de fortement investir en R&D pour créer les textiles de demain, déposer des brevets, maximiser la marge, et dans le même temps j’ai développé le réseau de l’entreprise, en nouant des relations de proximité avec des entreprises comme Zebra, mais aussi Babolat et Salomon pour ne citer qu’elles. C’est grâce à cela qu’après avoir développé le segment Formule 1, nous avons démarré le projet de développement de notre tissu Matryx en 2013 avec Babolat, tissu que nous avons commercialisé en 2015. Cette capacité à fédérer nous a peu à peu donné un rôle de plaque tournante sur certains projets innovants. Nous osons prendre des risques. Et lorsque l’on décide d’investir des millions d’euros dans un projet, dans une usine, il est nécessaire de croire à la réussite du projet !
Je pense que l’industrie française a besoin de dirigeants qui osent porter des projets d’innovation, de relocalisation, de réindustrialisation du territoire. Combiner innovation, maîtrise industrielle, et partenariats commerciaux est la clé d’un cercle vertueux pour notre filière. Il peut paraître assez étonnant qu’un projet de l’envergure d’ASF ait été porté depuis le début par un industriel du secteur textile, mais cela fonctionne, et aujourd’hui des marques comme Babolat, Salomon, Millet, concurrents sur le marché du sport, ou encore Siemens, collaborent ensemble et nous suivent car nous croyons profondément à la légitimité et à la réussite d’un tel projet industriel en France.
Comment se répartissent les rôles dans un tel projet intégrant des spécificités du métier textile avec les technologies de pointe de l’industrie 4.0 ?
Siemens est venu spontanément nous solliciter pour échanger après nous avoir identifiés comme des acteurs à potentiel pour l’industrie de la chaussure, notamment grâce à notre relation avec Zebra Technologies. Mais sans Salomon jamais ASF n’aurait vu le jour ! C’est le premier acteur, client historique de Chamatex, à avoir franchi le pas avec nos côtés pour s’investir dans le projet. Et sans Siemens, nous n’y serions pas allés non plus, car Siemens possède une réelle maîtrise de l’industrie 4.0 inégalable. Tout tient très souvent à une histoire de rencontres entre personnes, entre dirigeants, avec des visions qui s’alignent à un moment précis.
La coopération pleine et entière est nécessaire pour atteindre le niveau d’automatisation requis pour pouvoir fabriquer des chaussures de sport haut de gamme et compétitives sur le marché mondial. Il faut un savoir-faire d’excellence au niveau du process, savoir-faire que nous avons nous-même imaginé avec les équipes de Salomon et des intégrateurs comme Bosch, avec des lignes de production capables de communiquer en mode 4.0 grâce à Siemens, pour créer ce qui devrait être l’usine de fabrication de chaussures la plus moderne au monde. Deux brevets ont été déposés sur le process. A l’heure actuelle, pas un seul jour de retard n’a été enregistré malgré les turbulences de l’année 2020, et tous les indicateurs sont au vert pour la poursuite du projet.
Chaque période de crise crée des opportunités et renforce des tendances, des convictions, c’est donc clairement le cas pour le groupe Chamatex en ce début d’année 2021 ?
Nous n’avons jamais autant livré de mètres de Matryx que durant l’année 2020, notamment grâce à un premier contrat avec Puma, qui chausse avec notre tissu Antoine Griezman et Olivier Giroud, mais aussi avec Kylian Jornet chez Salomon, entre autres. En 2020 a ainsi été franchie la barre symbolique du million de chaussures fabriquées avec du Matryx dans le monde. Sur le segment de l’ameublement, la demande a été telle que nous avons dû faire travailler nos équipes chez Rocle et Chamatex le samedi durant la première période de crise sanitaire, afin de répondre aux besoins des nombreux consommateurs confinés lançant des projets de rénovation de leur habitat.
Notre année 2020 présente un bilan exceptionnel en termes d’activité, puisque les projets qui étaient en cours comme la création d’ASF 4.0 ou les nouveaux projets comme la fabrication de masques se sont transformés et concrétisés. Factuellement, notre chiffre d’affaires 2020 est proche de 40 millions d’euros, alors que sur quasiment le même périmètre en 2019 nous avions réalisé 25 millions d’euros. Nous avons continué à embaucher et nous recruterons encore alors même que le groupe aujourd’hui compte près de 150 personnes. Et des projets de croissance externe et organique sont d’ores et déjà planifiés dans les mois à venir.
La crise du Covid a renforcé l’idée d’une nécessaire souveraineté dans plusieurs secteurs industriels. Le projet ASF 4.0 fait encore plus sens à la lumière de cette crise, puisqu’il s’agit de relocaliser une activité sur un territoire, d’autant plus qu’il sera situé en Ardèche. Ce que l’on pourrait au départ imaginer comme une problématique pour pouvoir recruter n’en est pas une puisqu’aujourd’hui l’envie de changer de cadre de vie qui existait déjà chez certains salariés citadins a été renforcée par le confinement. ASF est un projet d’envergure qui coche toutes les cases nécessaires pour attirer et fédérer les talents et les marques autour de la fabrication française.
Mais c’est un travail colossal qui est, depuis plusieurs années et encore aujourd’hui, fourni par des équipes projets qui ne s’arrêtent jamais ! Je suis par ailleurs secondé par une équipe d’encadrement très engagée, et de façon plus globale l’ensemble des salariés du groupe est motivé par les projets proposés. Pour que tout cela fonctionne, je reste vigilant sur l’attention que je porte à mes collaborateurs, et cela se traduit dans les politiques de rémunération et de gestion des carrières mises en œuvre, au fur et à mesure que notre terrain d’activité s’élargit. Mon objectif était de faire sortir le groupe de la crise 2020-21 plus fort. Ce sera le cas, et même sans doute au-delà de ce que j’imaginais.
La formation, le recrutement, la gestion des compétences est donc un des leviers les plus importants pour assurer la croissance du groupe, en particulier avec la nouvelle ASF à venir ?
La stratégie mise en place depuis 2011 consiste à consolider notre supply chain, des ateliers de moulinage, d’ourdissage, en passant par la teinture et bien évidemment notre fabrication de tissus. Avec ASF, nous allons au-delà et investissons dans un nouveau métier : la fabrication d’un produit fini. Nous avons donc déjà recruté cinq personnes expérimentées, des talents issus de l’industrie de la chaussure mais également un directeur de production aux multiples expériences dans des secteurs industriels très fortement automatisés, qui connait parfaitement le système de management de lignes robotisées fonctionnant en 3×8.
Des formations seront bien évidemment nécessaires puisqu’un système d’ERP dédié à la fabrication de chaussure va être installé, ainsi que des robots spécifiques. D’autres recrutements sont en cours, en particulier pour la maintenance et la programmation. Nous pouvons cependant compter sur de nombreuses propositions et CV car ce projet ultra-moderne attire des profils intéressants.
Concernant notre cœur de métier qui reste la fabrication de textile, il reste effectivement plus compliqué d’embaucher et de fidéliser les salariés, chez nous comme chez de nombreux acteurs de la filière. Malgré tout, nous avons réussi grâce à notre stratégie d’innovation à recruter des jeunes profils, souvent via la R&D. Notre plus grande réussite est le fait que, depuis près de trois ans, ces jeunes ingénieurs ne repartent plus après leur première expérience. Souvent âgé(e)s tout au plus d’une trentaine d’années, ils souhaitent maintenant évoluer au sein du groupe. Une certaine taille critique a enfin été franchie pour que nous puissions leur proposer assez de postes intéressants pour la suite de leur carrière. Par exemple, l’année dernière un ingénieur R&D est devenu responsable de la supply chain, et cette année un autre est parti ouvrir notre nouveau bureau à Hô-Chi-Minh-Ville au Vietnam. Tout l’enjeu est de garder cette bonne dynamique et de proposer aux jeunes, grâce à notre croissance, des niveaux d’encadrement propices à leur épanouissement professionnel.
La Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) fait partie des engagements stratégiques du secteur, comment la durabilité est-elle intégrée au quotidien du groupe ?
Chez Chamatex, nous intégrons depuis près de 10 ans maintenant du polyester recyclé en quantités industrielles dans nos tissus, que ce soit pour fabriquer des stores ou des tenues professionnelles sur appel d’offres comme pour la RATP ou La Poste. L’objectif est de passer, dans les mois à venir, 100% de la quantité de polyester incluse dans notre Matryx en polyester recyclé.
Les fils techniques que nous utilisons pour nos tissus sont issus d’une supply chain européenne, limitant ainsi notre impact carbone. A priori nous sommes plutôt de bons élèves puisque bien référencés sur les outils Higg Index intégrés chez Salomon, qui évalue et note la stratégie RSE de ses fournisseurs. Toutes nos usines sont situées en Auvergne Rhône-Alpes, et lorsque nous serons en mesure de fabriquer les chaussures en Ardèche, nous passerons une nouvelle étape de cette limitation de notre impact carbone en favorisant les circuits courts.
Quels sont selon vous les principaux éléments fondateurs de l’industrie textile française de demain ?
Trois éléments sont déterminants pour diriger une industrie en France : avoir une valeur ajoutée indéniable pour exister et être attractif, avoir de très bonnes relations avec d’excellents fournisseurs, mais surtout avoir les équipes capables de mener les projets à terme. Aujourd’hui, mon rôle de dirigeant consiste pour moitié de mon temps à veiller à ce que chaque collaborateur dispose de son espace de responsabilité, de mobilité, d’éléments de motivation suffisants, et de réfléchir à leur avenir. C’est extrêmement passionnant de construire le futur de ses équipes.
Avoir une réelle vision stratégique et être capable de la mettre en œuvre est le seul moyen de maîtriser son destin. La différence se fait par l’action, et pour cela il faut être rapide et accepter de prendre des risques. Il faut aussi faire des choix pour financer la croissance de l’entreprise. Cela peut être fait via l’endettement, mais être capable de rembourser peut rapidement être difficile, notamment en cas de crise. J’ai personnellement choisi d’ouvrir le capital à des fonds financiers tout en restant actionnaire majoritaire ; c’est ce qui a permis d’investir, de nous donner les moyens de nos ambitions, de se rapprocher progressivement du consommateur, et de passer en moins de dix ans de 45 employés et 7, 5 millions d’euros de CA en 2011, à 150 collaborateurs et près de 40 millions d’euros de CA aujourd’hui.
N’oublions pas les cadres dirigeants du groupe avec qui nous avons créé cette année une nouvelle société baptisée Mancham, dans laquelle tous mes directeurs sont actionnaires au plus haut niveau. Viser l’excellence est un état d’esprit partagé, et si je ne laisse rien au hasard, rien de côté, si je suis perfectionniste c’est pour veiller à ce que chacun puisse s’épanouir en travaillant au sein du groupe Chamatex.
Propos recueillis par N. Righi – Mars 2021