Le 8 janvier dernier, Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, Franck Riester, ministre de la Culture, et Guillaume de Seynes, président du Comité stratégique de filière « Mode et Luxe » * ont officiellement signé le Contrat stratégique triennal de filière.
Pourquoi un tel engagement ? Car la France est le premier acteur mondial dans le secteur de la mode et du luxe.
Atout majeur de l’économie française, le secteur pèse aujourd’hui plus de 154 Mds € de CA et plus de 600 000 emplois. C’est l’un des premiers secteurs exportateurs du pays. Dans une économie largement mondialisée, fluctuante, changeante, tout l’enjeu du contrat stratégique de filière est donc de mettre en place les actions et les moyens nécessaires pour permettre au secteur de maintenir sa prééminence, tout en donnant les moyens d’accompagner sa croissance.
En tant que Président du comité stratégique de la filière, Guillaume de Seynes, Directeur général du Pôle Amont et Participations d’Hermès, et Président du Comité Colbert, souligne le dynamisme du secteur. Il reste également parfaitement conscient de la diversité et de l’hétérogénéité des entreprises qui le compose, fondatrices d’un patrimoine industriel, artisanal et culturel à protéger, mais surtout actrices d’une dynamique favorable grâce à la qualité des savoir-faire, la traçabilité des productions, la créativité et l’innovation dont elles font preuve…
Chef de file d’un secteur Mode &Luxe aussi diversifié que performant, Guillaume de Seynes a accepté de revenir pour nous sur les actions à mettre en œuvre durant les trois années à venir, pour améliorer la compétitivité du secteur et, à travers son rayonnement international, faire rayonner la France.
Professionnels du secteur, pouvoirs publics, organisations syndicales, représentant des salariés de la filière, acteurs de l’innovation… L’un des premiers objectifs du CSF Mode et Luxe était de contribuer de façon pragmatique à dynamiser l’ensemble de la filière, et de rassembler l’ensemble des forces, aussi hétérogènes soient-elles, autour d’une ambition commune. Peut-on dire que ce pari est déjà réussi ?
Il est vrai que notre filière Mode & Luxe est extrêmement diverse, avec des grandes marques mondialement connues, des industriels sous-traitants, de jeunes marques émergentes ou en pleine croissance, des organismes professionnels, entre autres, et œuvrant pour la mode, la bijouterie, la maroquinerie, pour ne citer que ces secteurs. Le Bureau du Comité de filière, regroupant une quinzaine de personnes et reflétant la diversité de ces acteurs, s’est très souvent réuni, avec des échanges intéressants plus d’une fois par mois. Deux sessions plénières ont été par ailleurs organisées.
Je pense que nous avons pris l’habitude de discuter ensemble, et c’est un premier pas très positif. Ce contrat de filière est le reflet et la synthèse de l’ensemble de ces échanges constructifs.
Pourriez-vous nous présenter les grands axes structurants définis dans ce contrat triennal signé le 8 janvier dernier ?
Nous avons travaillé sur quatre grandes thématiques couvrant l’ensemble des problématiques et des besoins exprimés par les représentants de la filière.
Le premier thème est celui de la formation et de l’emploi, traité à travers deux grands axes : d’une part l’accompagnement de la naissance d’un pôle d’excellence d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation, une belle ambition affichée au plus haut niveau mondial, et officialisée par la création du nouvel Institut Français de la Mode le 8 janvier dernier; d’autre part, l’adaptation de notre écosystème de formation, notamment technique, pour mieux répondre aux besoins de renouvellement et de recrutement de la filière, mais également revitaliser les métiers techniques de la mode et du luxe afin de répondre à la croissance du secteur.
Le deuxième thème est le soutien à la capacité industrielle de production et de sous-traitance. Dans la mode, Il s’agit essentiellement de proposer un audit 360° aux entreprises afin de déterminer leurs forces et faiblesses, et pouvoir les accompagner ensuite dans le changement, notamment technologique. vers de outils de production ayant particulièrement évolué ces dernières années avec l’automatisation et la digitalisation. Un accélérateur sera mis en place avec BPI France pour gérer au mieux cet accompagnement.
Troisième thématique traitée, l’aménagement d’un écosystème entrepreneurial favorable à l’accompagnement des marques, en particulier les jeunes marques, dans leur croissance sur le plan national mais également à l’exportation. Un renforcement des moyens de l’IFCIC sera proposé, ainsi qu’un accélérateur avec BPI France dédié à ce public, et la création d’une chaire IFM sur tous les nouveaux modèles économiques existants aujourd’hui.
Enfin, un thème absolument essentiel et incontournable porte sur le développement durable. Nous souhaitons structurer une véritable dynamique dans ce domaine, à travers deux axes principaux. Le premier s’intéresse à la mise en place de dispositifs de traçabilité efficaces, quelque ce soit le domaine d’activité, mode, cuir, etc. Et le deuxième doit permettre d’initier une dynamique nationale de recyclage textile, avec la mise en place de deux démonstrateurs industriels.
Ainsi, à travers toutes ces initiatives, nous souhaitons proposer dans ce contrat de filière autre chose qu’une simple « grande messe ». Avec ce contrat de filière, ce sont des actions concrètes, qui sont proposées et qui seront mises en œuvre pour soutenir, valoriser, et accroître la performance des entreprises françaises.
Maintenir l’excellence française en matière de mode et luxe passe en grande partie par le soutien à l’innovation sous toutes ses formes (technologique, organisationnelle, ou autres) ; quels sont les leviers sur lesquels souhaite agir le CSF concernant l’innovation ?
L’innovation ne fait effectivement pas l’objet d’une thématique à part entière, puisqu’elle est incontournable et irrigue l’ensemble des thématiques présentées dans le contrat de filière. Il faut néanmoins s’assurer que les moyens d’innover soient adaptés aux spécificités de notre filière, qu’ils soient à la fois au service des savoir-faire traditionnels et de la compétitivité de la France.
L’innovation ne doit pas nous restreindre à seulement « être au même niveau que les autres », elle doit être le levier de notre différence, de notre force, de l’excellence de la mode et du luxe français.
Les démarches seront accompagnées par les accélérateurs de BPI France pour confronter, en particulier au travers des audits, les entrepreneurs à leur besoin et leur capacité à innover.
En matière de formation, enjeu crucial du contrat de filière, l’ambition est clairement affichée : « préserver, développer et promouvoir un système de formation renouvelé – tant initiale que continue – spécifique, de haute qualité, organisé en réseau, doté de moyens humains et pédagogiques à la hauteur des enjeux (…) . Ce « plan Marshall » semble destiné à transformer durablement l’écosystème de l’enseignement, quels en sont les axes de travail principaux ?
Nous avons fait un constat simple : le secteur Mode & Luxe est en croissance, grâce à la bonne santé des marques de luxe françaises, et cela crée des besoins en compétences.
Mais il y a aussi un réel sentiment d’urgence, face d’une part aux vagues de départs à la retraite annoncées dans un futur proche, et d’autre part au manque de (re)connaissance de l’attractivité de la filière auprès des jeunes générations. Ce sont pourtant des métiers avec un vrai contenu, des savoir-faire, qui permettent de se réaliser à l’heure où l’on cherche de plus en plus à trouver du sens à son activité ! Il est donc nécessaire de mieux communiquer. C’est le premier grand volet de notre action, faire mieux connaître nos besoins et promouvoir nos métiers.
L’autre volet est de travailler de manière effective avec les Ministères de l’Education et du Travail sur l’évolution des diplômes, et sur le renforcement de la pratique en particulier, ce dernier point étant clairement exprimé par les entreprises. Faire dialoguer les professionnels avec leurs administrations pour que les formations soient adaptées à la réalité de nos besoins. L’enjeu est primordial car il est nécessaire aux entreprises de pouvoir renouveler leurs équipes afin de transmettre et protéger leurs savoirs et savoir- faire parfois uniques.
Pour tenir ces engagements, les groupes de travail du CSF sont mobilisés afin d’obtenir des avancées effectives dès 2019.
Impulser une dynamique vertueuse d’économie circulaire est un des axes structurants du contrat. Au-delà d’une demande clairement affichée des consommateurs pour des produits plus durables, semblait-il nécessaire de structurer l’effort au niveau national, pour enfin trouver des solutions à tailles suffisamment critiques et économiquement intéressantes pour toutes les parties ?
Au-delà du contrat de filière, la prise de conscience dans ce domaine est effectivement déjà bien réelle et indispensable, et cela est une bonne chose.
Recyclage, réemploi, recréation de matière sont de vrais sujets à part entière, au cœur de cette vaste thématique autour du développement durable. Nous avons choisi de traiter ces aspects-là par des actions car les actions mises en oeuvre, une fois de plus, n’auront de raison d’être et de sens qu’en étant extrêmement concrètes. Il s’agit de soutenir une dynamique vertueuse d’économie circulaire à travers la mise en place de deux démonstrateurs de recyclage textile, le premier en région Hauts de France, avec un process mécanique à partir d’une matière 100% coton ; le second, en région Auvergne Rhône Alpes, avec un process chimique à partir d’une matière mélangée coton et polyester ( jusqu’à 60%).
Ces deux projets sélectionnés sont porteurs de sens, si leurs résultats sont que l’on espère bien entendu positifs, seront en mesure d’irriguer l’ensemble de l’écosystème de la filière.
Concernant la traçabilité, le projet initié permettra quant à lui d’identifier des solutions technologiques efficaces et sécurisées sur toute la chaîne de valeur de production, qui devrait pouvoir être testée dans les entreprises volontaires dès 2021.
(Re-) Mettre l’humain au centre de la filière semble être au cœur du CSF, que ce soit par la formation, le soutien aux créateurs, le soutien aux chercheurs, la valorisation des compétences humaines face à la robotisation, ou encore l’accompagnement des dirigeants. Miser sur l’humain, est-ce qui assurera en premier lieu l’excellence à l’international de la filière française mode & luxe du futur ?
J’ai pour ma part la profonde conviction que ce secteur Mode &Luxe est une des forces incroyables de notre pays à l’international. C’est ce que je peux constater par ailleurs, ayant également la chance d’être Président du Comité Colbert.
Le ministre Bruno Le Maire l’a une nouvelle fois souligné lors de la signature du contrat, le secteur est un réel atout économique et culturel pour notre pays ; il est nécessaire de protéger ce leadership, de le maintenir, de le faire vivre. Et ce sont bien entendu tous les talents des créatifs, des artisans, des façonniers, … qui font -et feront- le succès de notre activité.
Il y a donc dans ce contrat de filière une proposition pour chacun de ces talents, de nos talents, des talents aujourd’hui, et de ceux de demain.
Propos recueillis par N. Righi – Février 2019
* En France, les comités stratégiques de filières (CSF) correspondent chacun à une industrie stratégique. Ils rassemblent les professionnels du secteur, les organisations syndicales représentant les personnels de la filière et les pouvoirs publics. Les CSF élaborent des contrats de filière, fondés sur des engagements réciproques entre l’Etat et les industriels, puis veillent à leur mise en oeuvre.