Mode in Textile

Interview: Hervé Tiberghien, Dirigeant d’Alpex Protection

Spécialiste de la fabrication de textiles techniques multicouches par laminage ou contre collage, la PME ligérienne Alpex Protection produit plus de deux millions de mètres linéaires de tissu par an. Une belle performance pour cette entreprise d’une quarantaine de collaborateurs qui œuvre au quotidien pour gagner des parts de marchés face à la concurrence asiatique ou aux géants des textiles techniques tels que Gore-Tex ou encore Sympatex.

Hervé Tiberghien est le dirigeant investi et passionné d’Alpex Protection, investi dans son entreprise mais également dans l’action des syndicats professionnels français dédiés aux textiles techniques, secteur industriel à fort potentiel. Il parie sur l’innovation continue pour faire la différence, assurer la croissance de son activité, et répondre à des cahiers des charges de plus en plus complexes : protection contre le feu, la chaleur, les intempéries, mais aussi haute visibilité, confort thermique et respirant… Et cela paie, puisque durant les huit dernières années, le chiffre d’affaires a plus que doublé, sur le territoire et à l’export.

La stratégie de développement déployée par Hervé Tiberghien s’appuie aussi sur le développement durable, tendance forte du secteur. Si les marchés publics n’ont pas encore tous entièrement intégré cette composante dans leurs appels d’offres, de plus en plus de donneurs d’ordres souhaitent proposer de plus en plus de traçabilité ses vêtements au consommateur final. D’autant plus que la réglementation elle aussi s’intéresse de près à l’impact de l’activité textile.

Alors sous l’impulsion d’Hervé Tiberghien, tous les collaborateurs d’Alpex travaillent en ce sens pour être proactifs et avoir un coup d’avance. Il revient pour nous sur une stratégie de développement basée sur l’innovation, la durabilité, et le « fabriqué en France ».

Alpex Protection investit près de 5% de son budget annuel dans l’innovation technologique, pour assurer son positionnement sur des marchés concurrentiels, internationaux, et souvent très normés et réglementés. Comment cela se traduit-il dans votre organisation ?

Nous sommes des fabricants de textiles composites, des « sandwichs », et cherchons en permanence la combinaison la plus performante entre les différentes couches de matières afin de répondre aux cahiers des charges qui nous sont soumis. Nous sommes régulièrement sollicités, voire challengés, par nos clients et nos fournisseurs. Avec plus de 300 nouveaux produits développés chaque année, cette logique permanente de développement est véritablement ancrée dans l’ADN d’Alpex.

Aussi notre département de recherche et développement œuvre pour définir la stratégie d’innovation qui nous permet d’être proactif et pour sélectionner les projets les plus pertinents. Une commission R&D interne se réunit une fois par mois et passe en revue l’état d’avancement de tous les projets qu’ils soient internes et collaboratifs.

Dans le domaine des projets collaboratifs, par exemple, nous travaillons actuellement sur deux projets en commun avec l’Institut Français Textile Habillement, entre autres acteurs. Le premier projet collaboratif baptisé ETINCELS² a pour objectif d’élaborer des vêtements et sous-vêtements de protection innovants, confortables et limitants le stress thermique des professionnels de sécurité en situation d’intervention ; notre rôle est ainsi d’améliorer le système multicouche qui sera intégré aux vêtements de pompier de demain. Le deuxième projet DEPERFLEX II cherche quant à lui à développer des solutions alternatives “écoresponsables” de traitements déperlants sans fluor, durables dans le temps.

Chaque année la pression concurrentielle qui s’exerce sur les entreprises textiles françaises est de plus en plus forte. Il s’agit de trouver un équilibre, presqu’une harmonie, une alchimie, entre les outils de production, les compétences humaines, les financements et les investissements pour être en capacité d’innover sans pour autant affaiblir ni la capacité de production de l’entreprise, ni ses marges.

Votre cœur de métier est lié aux appels d’offres des administrations et donneurs d’ordres publics. Sur ces marchés exigeants et concurrentiels, quels sont vos atouts en tant que fournisseur de rang 2 face à Gore Tex ou à l’Asie ?

Il est vrai que cette mécanique des appels d’offres est complexe, mais nous avons développé un vrai savoir-faire dans ce domaine avec nos années d’expérience. Pour pouvoir travailler le plus en amont possible de l’appel d’offre et se préparer, il faut avant tout une bonne équipe, un bon agent commercial et un bon technicien.

Les administrations sont effectivement très exigeantes, et si nous leur proposons un produit de qualité et compétitif, nous leur promettons aussi une réelle flexibilité, une réactivité et une souplesse inhérentes à notre taille de PME, ce que les grandes sociétés ne peuvent plus vraiment proposer aujourd’hui.

Dans le domaine de l’imper respirant, les considérations environnementales prennent de plus en plus d’importance, notamment sur toutes les questions de recyclabilité ou d’emploi de produits fluororcarbonés. Comment travaillez-vous pour répondre à ces problématiques et futures contraintes réglementaires ?

Dans ce domaine nous avançons avec précaution, le sujet étant extrêmement complexe.

Certaines matières, nous le savons, sont plus faciles à recycler que d’autres. Le véritable problème qui se pose actuellement ne porte finalement pas tant sur le choix des matières que sur le coût énergétique de leur recyclage ! Ceci est moins médiatisé, pourtant l’impact est bien réel. C’est une vraie problématique de filière, et nous devons réfléchir ensemble, avec nos partenaires confectionneurs et les administrations pour trouver des solutions techniquement et économiquement viables. Les arbitrages sont forcément difficiles.

Nous nous appuyons sur la force du collectif, notamment avec les projets collaboratifs encore une fois, par exemple avec le projet Technymat qui propose de créer des matériaux innovants à partir des rebuts de production et en fin de vie de textile techniques synthétiques usagés.

Mais chez Alpex nous travaillons également depuis longtemps à l’intégration de fibres et matières recyclées dans nos produits. Alpex bénéficie d’une certification Oekotex®, et nous nous préparons pour la certification environnementale ISO 14001.

Fabriquer en France est-il aujourd’hui un avantage pour votre activité ?

Même si une forme de protectionnisme n’est toujours pas d’actualité sur notre territoire dans le domaine de marchés publics, nous sentons depuis quelques années une volonté de certaines administrations de mieux valoriser le potentiel des entreprises françaises.

Si la concurrence s’exerce toujours sur la qualité et le prix du produit, une certaine proximité des fournisseurs séduits de plus en plus d’acheteurs. Cela change doucement, mais la tendance au Made in France gagne du terrain.

Les textiles techniques représentent une des activités industrielles qui connaît une belle progression depuis plusieurs années en France, pour quelles raisons principales d’après vous ? 

Les applications sur lesquels se positionnent nos entreprises textiles françaises sont particulièrement hétéroclites, le champ d’action est donc vaste. Le champ d’activité du textile français est en fait composé, sur le territoire mais aussi à l’international, d’une succession de niches d’applications à plus forte valeur ajoutée, parfois très spécifiques, parfois uniques, qui freinent l’entrée de la concurrence asiatique.

Et ce malgré des process de certification ou d’accréditation parfois très long, par exemple dans le secteur aéronautique. Une fois reconnu comme fournisseur accrédité, la relation avec le client s’établit plus facilement sur long terme, les marchés sont plus captifs.

Ce sont notre hétérogénéité d’applications, la présence d’une filière complète sur le territoire, et notre réactivité qui font notre force

Comment imaginez-vous la filière textile française du futur ?

Nous naviguons sur des mers très agitées en termes d’économie mondiale, d’accords géopolitiques et il est malheureusement extrêmement difficile de se projeter et de prévoir l’avenir ! Il nous faut surtout garder en tête que rien aujourd’hui n’est de nature à freiner le développement de l’Asie, ni en termes de capitaux disponibles, de capacité d’innovation, ou même de qualité des produits comme ça pouvait être le cas auparavant.

Malgré tout, je reste persuadé que chacun a une place à prendre ou à garder, une carte à jouer sur des marchés de niche, car nous avons nous aussi cette extraordinaire capacité à innover, nous avons des compétences de pointe en termes de textile habillement, sur des métiers historiques ou très actuels, qu’il nous faut bien évidemment protéger et pérenniser, et nous avons ces grandes forces que sont notre réactivité et notre capacité à satisfaire pleinement le besoin client.

Propos recueillis par N. Righi – Juillet 2019