L’Institut Carnot Mica est l’une des 38 structures de recherche publique du réseau Carnot. Spécialiste des matériaux fonctionnels, surfaces – interfaces et des procédés associés, cette structure accompagne les entreprises dans le développement de leurs projets de R&D, grâce à une synergie unique de 17 laboratoires de recherche, centres de ressources technologiques et centres techniques industriels.
Avec la recherche partenariale au cœur de leur stratégie, les instituts Carnot ont pour objectif de développer des actions de R&D, au bénéfice de l’innovation des
entreprises, de la PME au grand groupe. Lionel Limousy , Directeur général de l’Institut Carnot Mica basé à Mulhouse, est également enseignant-chercheur à l’Université de Haute-Alsace et membre de l’Institut de science des matériaux de Mulhouse (IS2M). Il a accepté de revenir pour nous sur les actions de l’Institut dans le domaine des matériaux textiles, et sur la raison d’être d’une telle structure: accompagner les entreprises sur toute la chaîne de valeur, de la recherche à l’application industrielle, avec un interlocuteur unique.
L’ IC Carnot Mica est dédié à la recherche et développement, et il s’agit bien de ne pas seulement d’inventer mais d’innover pour des marchés cibles. Comment travaillez-vous avec vos partenaires et avec les entreprises pour assurer le bon transfert des innovations ?
L’institut Carnot MICA a mis en place 2 modes d’interaction avec les entreprises : une approche Push et une approche Pull. Dans le premier cas, nous présentons les innovations issues de nos structures liées au ressourcement interne de ces dernières via le financement de projets de R&D par MICA (Push), de sorte à proposer de nouvelles opportunités aux entreprises qui sont en ruptures avec les solutions existantes. Dans le deuxième, nous recueillons les besoins des entreprises et nous adaptons notre réponse pour proposer des projets amenant à des innovations (Pull).
Pour cela nous participons à de nombreuses manifestations organisées sous la forme de workshop, de salons ou de rendez-vous B to B afin de multiplier les rencontres avec les entreprises du secteur du textile. Nous sommes partenaires avec les Carnot Mines et Ingénierie @ Lyon de la filière Mode et Luxe (CARATS) mise en place depuis 2016 dans le cadre de la valorisation des Instituts Carnot (PIA filières). Nous sommes également adhérent au pôle de compétitivité TECHTERA et membre du conseil d’administration du pôle textile Alsace.
Dans le domaine des matériaux textiles, l’Institut Carnot MICA travaille pour des applications extrêmement variées. Pourriez-vous nous parler de quelques success stories afin de montrer cette diversité ?
Les matériaux textiles sont utilisés dans de nombreuses applications, que ce soit dans le domaine de la mode, de la santé, du bien-être, du sport, de l’automobile et bien d’autres. Nous travaillons depuis quelques années avec l’Institut Français du Textile et de l’Habillement (IFTH) sur le développement de textiles connectés, de pansements intelligents ou encore de textiles techniques pour la protection des individus.
Nous avons pu développer des textiles électroluminescents, conducteurs, chauffants ou à libération contrôlée de principes actifs. Les partenaires de MICA ont en particulier participé au développement d’un textile à effet barrière par rapport aux ondes électromagnétiques avec la société SENFA et pourra très prochainement proposer des textiles équipés de micro-capteurs permettant le suivi médical de patients.
Dans le secteur mode textile habillement, on parle aujourd’hui de textiles fonctionnalisés, et même de textiles intelligents… Les techniques de fonctionnalisation de surface par voie sèche sont un exemple de sujet d’étude important au sein de MICA, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur leur intérêt et sur l’avancement de tels développements (plasma…) ? La pression environnementale en particulier pousse-t-elle les industriels à développer ce type de nouveaux process ?
La technique de traitement par voie sèche est particulièrement étudiée au sein de certaines structures de MICA. Les techniques actuellement disponibles (plasma basse pression ou atmosphérique) et surtout la maîtrise de la chimie du plasma permettent d’explorer de nouvelles pistes. La comptabilisation des surfaces textiles avec certains environnements, la super-hydrophobicité, l’antimicrobien ou encore l’anti-salissure sont tout à fait envisageables sur différents types de textiles (synthétiques, naturels), les travaux portent plus aujourd’hui sur la durabilité de ces traitements.
Nos partenaires industriels voient dans le développement de ces techniques la possibilité de limiter le recours à des traitements chimiques par voie humide qui sont plus pénalisants d’un point de vue environnemental et également assez lourds à mettre en œuvre d’un point de vue technique. Aujourd’hui les installations de traitement de surfaces par procédé plasma sont de plus en plus compactes et tendent à se développer vers des modes de production continus. Il reste encore du chemin à faire, mais certains grands groupes utilisent déjà la technologie plasma pour produire certaines de leurs pièces techniques.
Les technologies plasmas peuvent également apporter des solutions innovantes permettant de répondre aux nouvelles contraintes environnementales sur les produits fluorés ou halogénés utilisés pour obtenir des propriétés antitaches ou ignifuges.
Vous avez participé à une étude récemment publiée par le réseau CARATS dédié à la mode et au luxe, pourriez-vous revenir en quelques mots sur le travail réalisé et les enseignements tirés ?
Le secteur de la Mode et du Luxe est une filière très hétérogène constituée de Grands Groupes donneurs d’ordre et de PME, TPE. Cette configuration rend délicate l’identification des attentes de cette filière en terme de stratégie d’innovation. C’est dans ce contexte que le Réseau CARATS piloté par le Carnot Mines a pris l’initiative de lancer des ateliers de conception innovante afin d’identifier les enjeux d’innovation du secteur Mode et Luxe sur 4 thématiques : développement durable, business model, expérience client et préservation des savoir-faire.
Ces ateliers (Workshop IDFI) ont réuni des industriels de la filière et des chercheurs. Ils ont permis de présenter une cartographie des concepts et connaissances de chacune des thématiques abordées. Les résultats de cette étude sont accessibles sur le site web de la filière CARATS, ils ont permis de proposer des pistes originales d’innovation et d’orienter les sujets de recherche en fonction des pistes identifiées.
L’industrie du futur fait partie des orientations stratégiques de MICA et de la plupart de vos partenaires, comme l’IFTH. Comment imaginez-vous l’usine du futur idéale ?
Cette thématique est effectivement émergente et au centre des préoccupations de nos partenaires aujourd’hui. De notre point de vue, l’usine du futur idéale est une structure agile et connectée dans laquelle les outils de production peuvent être adaptés en
fonction du besoin du client. La notion de personnalisation est également importante tout comme celle de l’intelligence artificielle qui permettrait de traiter des non-conformités directement sur la chaîne de production.
L’usine du futur devra également intégrer une dimension sociale et une dimension environnementale fortes, synonymes d’une intégration réussie des nouveaux outils de production et de leur appropriation par les salariés, et également d’une meilleure gestion des matières premières (circuits courts, économie circulaire de territoire) et des déchets issus de la production. L’usine du futur sera avant tout une usine responsable, équitable et dotée d’une excellente capacité d’adaptation aux demandes de ses clients.
L’impression 3D ou fabrication additive pose beaucoup de questions dans le secteur de la mode et du textile. Si les prémices existent déjà à travers quelques réalisations, avez-vous des projets dans ces domaines, ou des demandes d’industriels qui souhaitent en savoir plus, voir développer ce type de procès (composites à renfort fibreux, création d’« étoffes » imprimées 3D…) ?
La fabrication additive fait partie des techniques qui sont développées au sein de l’Institut Carnot MICA, nous travaillons aussi bien sur l’impression 3D que sur l’impression 4D. La quatrième dimension correspond à la fonctionnalité du matériau mis en œuvre, celle-ci pouvant prendre différentes formes. Elle peut être mise en œuvre par différents types de stimuli (température, humidité, lumière…) en fonction de l’application visée.
L’utilisation de l’impression 3D dans le domaine du textile fait partie de nos développements en cours. L’intégration de microcapteurs sur des surfaces textiles est actuellement étudié par une de nos équipes au sein de l’IS2M. Les secteurs de la santé, du bien-être et du sport sont particulièrement ciblés en raison des enjeux majeurs et des défis auxquels ces secteurs d’activités doivent faire face. Dans le domaine de la santé et du bien-être, le suivi des patients ou encore la perte d’autonomie progressive des personnes âgées sont des sujets majeurs qui peuvent trouver des réponses dans l’utilisation de textiles intelligents ou connectés. La fabrication additive présente ici un intérêt particulier pour développer de nouvelles solutions qui ne soient pas handicapantes pour les personnes concernées et qui évitent l’apparition de nécroses sur l’épiderme.
On imagine souvent que ce sont les grands groupes industriels qui vous sollicitent, or les PME peuvent bien entendu travailler avec vous. A votre avis, qu’est-ce qui pourrait les convaincre de tenter l’aventure de l’innovation collaborative en plus grand nombre ?
Le secteur du textile a souffert ces dernières années, un bon nombre de PME n’a malheureusement pas résisté à l’arrivée massive de produits à bas coûts provenant de l’étranger. Celles qui sont encore là ont su s’adapter, développer des produits techniques, de haute qualité et parfois sur des marchés de niches. Pour autant, la plupart d’entre elles n’a pas accès aujourd’hui aux développements ou aux innovations qui sortent des structures de R&D. Les raisons sont multiples, on peut citer parmi celles-ci l’implication des dirigeants dans le fonctionnement de leur entreprise qui ne leur laisse que peu de temps pour aller à la rencontre des structures de R&D, l’absence de service innovation ou de personne ayant une bonne approche de la R&D. Pour autant, quand nous rencontrons ces entreprises, nous constatons qu’elles ont énormément d’idées pour faire évoluer leurs produits, cependant elles manquent de temps et de moyens pour le faire, elles ne demandent qu’à être aidées et accompagnées.
Après, se pose le problème du financement de la R&D dont elles ont besoin. En plus de la phase d’ingénierie de projet, notre rôle et notre mission sont d’accompagner ces entreprises afin de trouver la meilleure solution, le bon guichet ou encore la typologie de projet qu’elle peut engager de sorte à initier une démarche de R&D. Cette phase que l’on peut appeler « étude de faisabilité » correspond souvent à une étape cruciale qui permet par effet levier d’obtenir des fonds plus conséquents pour assurer la mise en œuvre d’un projet de R&D complet. Pour cela l’IC MICA dispose d’une équipe capable de détecter, de conseiller et d’accompagner tout type d’entreprise dans cette démarche d’innovation en R&D, à travers la prise en main d’un cahier des charges par un interlocuteur unique qui suit le projet de l’entreprise de la première rencontre jusqu’à la réalisation finale de ce dernier.
Interview de Mr Lionel Limousy, Directeur général de l’IC Mica, réalisée en collaboration avec Mr Michel Huet, Directeur adjoint de l’IC Mica.
-Mai 2019-