PME lyonnaise créée en 2003, Ouvry conçoit et fabrique, en France, des systèmes de protection individuelle NRBC, des équipements innovants destinés à tous les opérateurs d’interventions : soldats et gendarmes, pompiers et opérateurs de secours, primo-intervenants des forces armées, des forces de sécurité publique ou civile, de la santé, de l’industrie, des sites d’infrastructures et de transports publics.
« Faire autrement » explique en partie la réussite de cette entreprise qui peut revendiquer une activité florissante, avec notamment 27 pays à l’export, 450 clients en France et dans le monde, et 80 % de croissance annuelle. Une très belle performance pour cette PME dynamique qui, sous la direction de son fondateur Ludovic Ouvry, a choisi de développer son activité en se différenciant des autres.
Son leitmotiv : être créateur plutôt que suiveur, mais aussi innover et collaborer avec les partenaires de son «écosystème», et manager avec cœur. Ludovic Ouvry a accepté de revenir pour nous sur les dernières innovations et les grands engagements stratégiques qui font toute la particularité de cette entreprise française.
Ouvry mise sur l’innovation technologique pour assurer son positionnement sur des marchés concurrentiels, internationaux, et souvent très normés et réglementés. Comment cela se traduit-il dans votre organisation ?
L’innovation est ancrée dans l’ADN de la société, et nous investissons près de 15% de notre budget chaque année pour travailler sur des projets d’innovation en gardant toujours à l’esprit les besoins de nos clients, des besoins très opérationnels.
Deux grands axes sont au cœur de nos projets innovants. En premier lieu, il s’agit de tout ce qui concerne la fonctionnalisation des textiles, c’est-à-dire la résistance au feu ou à la déchirure, par exemple, et tout ce qui permet de résister à un large spectre de menaces potentielles, comme rendre un textile décontaminant.
En deuxième lieu, nous étudions l’aspect thermo-physiologique de nos équipements, car il est nécessaire d’intégrer le facteur humain et l’ergonomie au cœur de nos produits. Un des projets collaboratifs de recherche et développement auquel nous avons participé il y a quelques années, avec d’autres partenaires comme l’IFTH, est le projet Sensoclim, qui portait justement sur l’’’évaluation de la tolérance physiologique des équipements. Tout ce qui a un rapport au confort, au sens large du terme, nous intéresse.
Nous travaillons sur toutes les briques technologiques insérées dans un équipement de protection. C’est ainsi que nous avons pu développer un produit très innovant, notre gant Decpol® super absorbant dédié à la décontamination immédiate, et qui s’appuie sur un support textile fonctionnalisé. De manière générale le textile est présent dans toutes notre gamme d’équipements de protection, des tenues bien évidemment en passant par les gants et le chaussant, mais aussi sur les masques avec le harnais, jusqu’aux lingettes, etc.
Vous êtes un ardent défenseur du collectif, que ce soit pour la R&D ou le développement international. Que vous apportent toutes ces collaborations engagées avec d’autres acteurs au sein de la filière ?
Si je dois citer un type de collaboration en particulier, le cluster Eden dont nous faisons partie permet de s’associer avec des industriels du domaine de la défense sécurité avec deux objectifs ; en premier lieu l’export, avec la mise en commun de réseaux de distribution, de réseaux commerciaux, et un partage d’informations. Le deuxième ax
e est bien entendu la recherche et développement de produits et/ou process.
Nous avons par exemple collaboré, dans le cadre d’un projet portant sur des combinaisons NRBC destinés aux pilotes de chasses, avec sept sociétés adhérentes du cluster, dont l’IFTH ou encore Rostaing ; les contributions de chaque entité en termes de temps et d’investissement, que celles-ci soient très importantes ou plus minimes, sont essentielles à ces projets car elles font gagner du temps, de la connaissance, de la confiance, et sont généralement économiquement intéressantes pour chacune.
Par ailleurs, nous développons certains projets sur fonds propres afin de garder un véritable avantage concurrentiel sur le marché, en particulier sur des problématiques sensibles telles que la décontamination immédiate. La création du gant Decpol® a ainsi été financé aux trois quarts sur fonds propres. Pour le financement partiel restant, nous avons intégré un système d’incubation avec un dispositif RAPID (Régime d’Appui pour l’Innovation Duale) financé par la Direction Générale des Armées (DGA). La phase d’amorçage a ainsi pu être réalisée en collaboration avec la Plate-Forme Nanosécurité du CEA de Grenoble. Toute la phase d’expérimentation est réalisée sur fonds propres depuis environ deux ans, depuis le développement du produit. Aujourd’hui nous sommes confiants concernant sa commercialisation, les premières commandes ont été passées par le Ministère de l’Intérieur et le Service de Santé des Armées, et sont très encourageantes pour l’avenir.
Spécialiste du secteur de la défense et de la sécurité, était-il finalement évident d’engager une stratégie de diversification vers des marchés civils comme l’agriculture ?
Un produit pesticide aujourd’hui, ou plus largement un produit phytosanitaire, appartient à la famille des organophosphorés ; or il s’agit finalement de la même famille que les composants utilisés dans la fabrication des agents de guerre chimiques. Les stratégies de protection à engager sont donc les mêmes !
Nous dupliquons notre expérience du monde de la sécurité, et avons choisi de nous appuyer sur notre Polycombi® , équipement précédemment développé pour la protection au sein de la police et de la gendarmerie, que nous avons décliné et adapté pour créer la combinaison PolyAgri ® dédiée aux agriculteurs. Disponible sur le marché depuis environ un an et demi, il s’agit d’une véritable alternative aux tenues en plastique proposées sur le marché, assez inconfortables notamment dès qu’il fait chaud. Concernant la PolyAgri ®, l’air y est filtré par le charbon actif, ce qui permet d’avoir une bonne thermorégulation tout en conservation un niveau de protection bien supérieur aux produits plastiques. Et les retours que nous avons des agriculteurs sont très satisfaisants, notamment au niveau de la protection bien évidemment, du confort, mais aussi et surtout du bien-être gagné grâce à cette nouvelle combinaison. Par exemple, l’utilisateur d’une Polyagri® ne sent plus le produit, ce qui est bien plus agréable pour le porteur mais également pour son entourage au quotidien, et valide par là-même une protection optimale. Les nouvelles générations qui arrivent et qui veulent se lancer sur ces activités sont très sensibles aux notions de confort et de bien-être, il est important de pouvoir leur proposer des répondants aux besoins qu’elles expriment.
Concernant le développement commercial de ce produit, nous avons collaboré avec les grands prescripteurs du domaine, comme le Ministère de l’Agriculture, mais nous avons également participé à des groupes de travail autour de la normalisation comme le BNITH par exemple. Ensuite trois embauches ont été réalisées. Nous sommes encore dans une phase d’investissement dans le cadre de cette diversification, mais le marché est très prometteur.
Aujourd’hui, devez-vous faire des produits presque personnalisés afin de répondre aux risques NRBC qui se multiplient aujourd’hui dans le monde civil et militaire ?
Notre « garde-robe » proposée sous la marque Polycombi® contient plus d’une vingtaine de modèles à destination des militaires et des policiers, ce qui est déjà très étendu. Nous n’’envisageons actuellement pas de proposer de la personnalisation poussée, quasi individualisé, qui est extrêmement compliquée à gérer au niveau industriel, pour une PME telle que la nôtre.
Avec les dernières avancées réalisées en matière de textiles connectés, réfléchissez-vous à l’intégration de capteurs dans vos futures générations d’équipements ?
Nous réfléchissons bien entendu à cette thématique, dans l’air du temps, mais en nous adaptant à nos contraintes et problématiques spécifiques. En effet, les cycles de vie de nos produits sont relativement courts, leurs usages sont limités dans le temps, et il semble donc à priori peu opportun d’y intégrer des technologies de monitoring ultra sophistiquées par exemple.
Nous réfléchissons donc moins à l’intégration de textile avec capteurs qu’à développer la compatibilité de modules textiles externes intelligents sur nos équipements existants. La modularité des technologies est un sujet qui nous interpelle.
Pérenniser une filière d’approvionnement française est important pour vous, cela va-t-il se concrétiser un peu plus grâce à votre dernière innovation de rupture, le gant Decpol® ?
Actuellement le gant Decpol® est fabriqué en petite laize, sur des machines pilotes, en région Auvergne Rhône Alpes. Nous réfléchissons effectivement à une prochaine industrialisation à plus grande échelle du process, très vraisemblablement dans l’agglomération lyonnaise, au siège dans Lyon 9ème.
Nous avons à cœur de travailler de manière générale avec des partenaires français, autour d’une chaîne d’approvisionnement locale, mais sans s’interdire d’aller trouver des compétences à l’international si les projets le nécessitent. C’est en effet notre capacité à être flexible qui garantit en grande partie notre capacité à poursuivre notre développement.
Qu’est-ce qui vous a surpris ou interpellé ces derniers mois ?
Dans notre secteur, ce qui m’interpelle le plus est la propension immédiate de mes concurrents, encore aujourd’hui, à miser sur les solutions, plastiques ou intégrant des textiles, enduites. Un certain conservatisme est étonnamment assez présent, et nous observons finalement peu d’évolutions sur ce segment ; les « vieilles recettes » comme le ciré jaune intemporel, sont toujours proposées sur le marché.
Or prendre en compte les besoins des clients est fondamentalement nécessaire aujourd’hui, car ces besoins ont évolué ces dernières années. Et s’il apporte une réponse en termes de protection, le plus souvent, le plastique n’est pas la réponse la plus adéquate notamment en termes de confort et de bien-être. Le secteur textile a quant à lui les atouts en main pour se développer, il faut donc savoir saisir ces opportunités.
Propos recueillis par N. Righi – Octobre 2018
Photos: Ouvry – Tous droits réservés