Bientôt centenaire, la société familiale Kiplay conçoit, fabrique et distribue depuis 1921 des jeans et vêtements de travail, d’image et des tenues techniques, en France et en zone Euromed. Mais si l’habillement professionnel est le cœur de son activité, la société est fière de proposer depuis quelques années, et sous l’impulsion de la 4ème génération familiale, une collection sous sa marque Kiplay Vintage, des vêtements crées et fabriqués en France, inspirés du riche patrimoine de la PME, et réinventés pour être portés au quotidien.
Président de Kiplay, et Président de l’Union Française des Industries Mode et Habillement (UFIMH), Marc Pradal est un irréductible optimiste. Et il semble avoir toutes les raisons de l’être puisque d’une part sa Société a su se réinventer pour répondre aux besoins et rebondir avec agilité au cœur de la crise sanitaire, d’autre part la solidarité et les complémentarités ne semblent n’avoir jamais été aussi fortes entre tous les acteurs des filières textile-habillement français. Au lendemain d’une édition très attendue du salon Made in France by PV à Paris début septembre, les voyants semblent au vert pour une relance réelle de la fabrication française. Et si l’adage « seul on va plus vite, ensemble on va plus loin » s’avère souvent juste, alors les perspectives d‘avenir semblent bien réelles.
Marc Pradal a accepté de revenir pour nous sur son expérience face à cette crise hors normes, mais aussi sur les ambitions affichées d’un secteur industriel tout juste redécouvert par le grand public, et qui compte bien valoriser ses atouts et sa force collective.
Une crise agit souvent comme un révélateur de tendances ; quel bilan peut d’ores et déjà être établi chez Kiplay suite à ces quelques mois de crise très atypique ?
Je pense que chaque crise, quelle qu’elle soit, est un accélérateur de tendances. Les entreprises qui se trouvaient dans une bonne dynamique sur leurs marchés trouvent au cœur des difficultés de nouvelles opportunités de développement, parfois très importantes, alors que les structures qui étaient déjà fragilisées vont faire face à une tendance à la baisse plus marquée, avec des développements et des marges de manœuvre plus impactés.
Chez Kiplay, nous avions déjà choisi un repositionnement vers le made in France bien avant cette crise du covid, avec une activité dédiée qui affichait une belle croissance de +40% en 2019. Les contacts que nous avons eu sur le salon la semaine dernière nous confortent dans l’idée que cette tendance devrait continuer de façon positive. Cette dynamique devrait nous permettre de compenser l’impact réel que nous connaissons sur l’activité vêtements professionnels, qui a, elle, subi la suspension ou le report des appels d’offres avec l’arrêt de l’activité économique de certains secteurs. Enfin, la fabrication de masques nous a permis de traverser la crise tout en participant à l’effort collectif et national de protection des personnes. C’est une activité importante, sur laquelle nous avons déjà quelques réassorts en commande.
De façon plus globale, si la tendance de la rentrée se confirme, nous nous dirigeons vers un bilan 2020 quasi équivalent à l’année 2019 à minima, ce qui est une réelle satisfaction pour l’ensemble des collaborateurs de Kiplay, une belle récompense de leur engagement. Malgré tout, nous sommes actuellement dans une période charnière, puisque je transmets progressivement les pouvoirs de direction à mes trois enfants déjà investis au sein de l’entreprise. Je leur ai donc demandé de repenser le busines model, et d’investir dans de nouvelles activités, de nouveaux développements, afin mieux garantir notre indépendance face aux nouveaux risques, sanitaires et économiques, que nous pourrions connaître.
Le “fabriqué en France” est un relais de croissance fort de la filière habillement, comment le valorisez-vous chez Kiplay ?
En tout premier lieu, nous nous faisons plaisir et cela change tout ! Lorsque nous avons démarré notre réflexion autour du vêtement professionnel et du jean, avec Kiplay Vintage, nous avons « chiné » dans nos anciens modèles, nos archives, tous ces détails authentiques et la qualité qui faisaient d’un habit professionnel le vêtement de toute une vie. Pas de marketing vide de sens ici, nous sommes au cœur de l’ADN de la Société. Kiplay Vintage est une marque intemporelle, une vitrine de notre savoir-faire bientôt centenaire, puisque que nous célébrerons l’année prochaine les 100 ans de Kiplay, autour de nombreux projets, des expositions d’archives, un livre photo…
A l’heure où le terme de relocalisation est très majoritairement utilisé, je préfère parler de réindustrialisation de la filière. Chez Kiplay, c’est peut-être même encore plus atypique, puisque nous n’avons pas relocalisé mais plutôt développé notre concept autour du made in France : les clients viennent nous rencontrer, découvrir notre savoir-faire, et nous leur suggérons des pistes de création, de développement. Nous mettons notre expertise à leur disposition .
Nous avons souvent tendance à l’oublier mais la valorisation du « fabriqué en France » n’est possible que par la valorisation de l’humain, des collaborateurs dans nos ateliers, les talents que nous recrutons et formons, des entrepreneurs qui s’engagent dans l’aventure…et comme il est important de retrouver le positif dans toute crise, ces derniers mois soulignons que nous nous sommes tous retrouvés autour de valeurs humaines indéniables.
Alors même que depuis quelques années, nous constatons tous une demande accrue des consommateurs en termes de transparence sur les conditions de fabrication des produits, notamment des vêtements, les jeunes générations ont découvert de belles histoires d’entreprises à travers « l’épisode des masques », avec des personnels et des dirigeants engagés altruistes et combatifs, des expertises agiles et accessibles en circuits courts, des volontés de s’inscrire dans une durabilité des projets et des produits.
Est-ce finalement le collectif qui permet aujourd’hui à la filière textile-habillement de rebondir, et qui lui permettra de grandir encore ?
Je suis encore aujourd’hui positivement stupéfait par l’agilité, la mobilité, l’engagement de nos entreprises autour des masques grand public. C’est très intéressant de souligner l’aspect psychologique de cette dynamique : chacun, chacune d’entre nous a été capable en un temps très court de remettre totalement en question son activité, ses process, pour s’adapter à une situation extraordinaire, au sens propre du terme. L’aventure Savoir Faire Ensemble, initiée sous l’impulsion du Comité Stratégique de Filière « Mode et Luxe », est une des représentations bien réelles de ces belles histoires.
Notons par ailleurs une mobilisation sans précédent de couturières à domicile, qui ont accepté dans la plupart des régions françaises de se mettre au service des entreprises engagées volontairement dans la fabrication de masques en manque de mains expertes et qui pourront pour certaines continuer à offrir leurs services – quasiment du télétravail spécifique ! Ce réservoir de savoir-faire représente une grande partie de l’ADN de la confection française, et il répond au besoin d’expertises locales afin de reconstruire demain des circuits courts.
Lors du salon Made in France, la Maison du Savoir Faire et de la Création a organisé un Hackathon, avec pour objectif d’apporter des réponses concrètes à huit marques souhaitant produire tout ou partie de leurs futures collections en France, et ce grâce à l’engagement d’experts du made in France. Une nouvelle fois, c’est la mobilisation d’un collectif qui permet à un instant T de trouver des solutions économiquement viables .
Nous avons, ces dernière semaines, pu bénéficier d’une vraie visibilité auprès du grand public, et c’est lui nous porte aujourd’hui, alors même que nos professions n’étaient pas assez écoutées, entendues, ni même reconnues par l’ensemble de la société françaises et des acteurs publics. Nos forces vives sont incroyables et nous pouvons compter sur elles, tel est le message que l’opinion publique a reçu, compris, et qu’elle porte aujourd’hui.
Me concernant, étant plutôt d’un naturel optimiste, je ne peux prochainement terminer mon mandat de président de l’UHIMH que satisfait et heureux de voir les syndicats, fédérations, acteurs de l’innovation, entreprises…bref les filières textile et habillement travailler ensemble, échanger et s’écouter. L’histoire n’est pas finie, celle-ci ne fait que commencer !
Concernant Savoir Faire Ensemble, là aussi l’histoire n’est pas finie, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Effectivement, l’énergie déployée dans l’aventure a été telle que nous souhaitions pour un certain nombre d’entre nous essayer de garder cette belle dynamique active et « sans frontières ». Une association vient donc tout juste d’être officiellement créée, sous la présidence de Guillaume Gibault, président du Slip Français, avec trois vice-présidents et un conseil d’administration composé de 14 chefs d’entreprises.
Nous sommes tous volontaires pour porter le projet, qui a ma connaissance est un des rares à rassembler les filières, en complément du travail mené par les fédérations et syndicats professionnels, autour d’un objectif commun : valoriser la fabrication 100% française de vêtements et produits textiles, notamment grâce au label officiel Savoir Faire Ensemble. Si le masque a été le déclencheur et le produit fédérateur, les actions de l’association sont maintenant tournées vers d’autres produits. Les Galeries Lafayette se sont d’ailleurs engagées à nos côtés et proposent depuis le 2 septembre dernier un T Shirt fabriqué en France labellisé SFE. Autre motif de satisfaction, plus d’une centaine adhésions à l’association ont déjà été enregistrées en moins de deux semaines, c’est un signal fort très encourageant pour la suite.
Quels sont les actes prioritaires que vous attendez de la part des institutions, pour soutenir le textile -habillement français ?
Au sein du Comité Stratégique de Filière « Mode et Luxe », la Commission Relocalisation/Réindustrialisation initiée par l’UFIMH a travaillé et multiplié les échanges pour élaborer en un temps record une stratégie de relocalisation et de réindustrialisation de la filière, et pour pouvoir soumettre 33 mesures prioritaires au Gouvernement début juillet 2020.
La Commission continue de travailler avec les services de l’Etat, et dans la continuité du plan de relance qui vient d’être officiellement annoncé par le Premier Ministre, nous devrions avoir des annonces officielles concernant notre secteur d’activité d’ici la fin de l’année 2020.
L’amélioration de l’outil industriel est un point soulevé dans ce rapport : le besoin d’aller plus rapidement vers l’usine du futur , une usine agile et numérique, devient-il encore plus urgent pour garantir une certaine indépendance française dans le secteur textile-habillement ?
A travers cette récente crise, nous nous sommes indéniablement tous mutuellement re-dynamisés. Cela a été le cas pour nos entreprises, mais aussi par exemple pour notre centre technique industriel, l’IFTH, avec des équipes qui ont su répondre à l’urgence, être présentes et rester mobilisées pour nous donner en un temps record la possibilité de tester nos masques, de rédiger et mettre à notre disposition des documents techniques ou de mise sur le marché.
Cela a été possible sous la pression, mais a clairement révélé notre besoin d’avoir des mises à jour systématiques de nos process, comme cela est fait en Tunisie par exemple, et d’accompagnement des entreprises pour les aider à choisir et investir dans les nouvelles technologies numériques, le suivi et la traçabilité de l’information…
La question fondamentale à se poser est simple : pourquoi notre mode de fonctionnement actuel, basé sur des produits fabriqués dans des conditions discutables en Asie, et demain en Afrique, aboutit à une telle hypocrisie sur les prix que 50% des vêtements vendus en rayons finissent soldés, invendus, puis très souvent incinérés ?
Repensons nos process et nos modes de consommation pour ne fabriquer que ce dont nous avons réellement besoin, avec des circuits plus courts, européens, nord-africains, et autant que possible français. C’est une nouvelle culture à construire, les planètes sont maintenant alignées pour y croire et le réaliser, mais il faut s’en donner les moyens. Cela passe prioritairement par un travail à faire sur nos outils, dans nos bureaux d’études, sur des plateformes collaboratives, pour arriver à améliorer notre réactivité d’une part dans la mise au point, d’autre part dans la production elle-même. Nous en sommes capables, et je suis optimiste…rendez-vous dans cinq ans pour faire le bilan de nos progrès !
Propos recueillis par N. Righi – 08/09/2020
Visuels: Kiplay