Originaire de l’Isère, il ne souhaitait pas travailler dans un secteur textile en crise, comme avait déjà pu le faire sa famille.
Paul de Montclos symbolise pourtant aujourd’hui tout le dynamisme de la filière textile et de son territoire vosgien d’adoption. Dirigeant de Garnier-Thiebaut, célèbre marque française de linge de maison haut de gamme, il est également président du syndicat du textile de l’Est, à l’origine du label Vosges terre textile, Président du Label France Terre Textile, et est très investi dans la vie industrielle locale.
Sous l’impulsion de Paul de Montclos, Garnier-Thiebaut a su relever les nombreux défis de la filière. La PME de 220 salariés maîtrise ainsi l’ensemble de sa chaîne de production à Gérardmer, avec sa propre unité de teinture, son tissage et son atelier de confection. Labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant, elle investit fortement sur l’innovation, la créativité et la diversification. Années après années, Paul de Montclos a fait le pari de la différenciation, avec les petites séries et la personnalisation, l’ouverture au BtoC, l’élargissement de l’offre, le développement durable, mais aussi l’indépendance avec la transformation du réseau de distribution entre détaillants, grands magasins, web et les boutiques en propre.
Alors, Paul de Montclos nous prouverait-il par l’expérience que souvent, pour réussir, il suffit parfois juste d’y croire ? Échange avec un dirigeant passionné et pragmatique.
L’innovation rythme l’activité de Garnier Thiebaut, avec une équipe de veilleurs et d’ingénieurs R&D, une stratégie qui vous a permis de développer le traitement antitaches Green Sweet par exemple. Comment cette activité s’organise-t-elle au quotidien ?
Notre territoire est difficile et pourtant cela fait près de 185 ans que Garnier Thiebaut s’y développe. Il a pour cela été nécessaire de saisir des opportunités de marché, d’investir dans des technologies ultra-modernes, et de développer une véritable culture du service. Être imaginatif n’est plus une option car il nous est impossible de nous différencier par les prix sur nos marchés face à la concurrence asiatique.
Nos équipes sont donc intrinsèquement proactives, font de la veille et travaillent en mode collaboratif avec des compétences externes dès que cela s’avère nécessaire. C’est effectivement ainsi que le traitement Green Sweet tout comme notre lessive écologique sont nés. Mais si nous avons une équipe de R&D, l’innovation est partagée de manière beaucoup plus vaste au sein de l’entreprise, avec le marketing, les équipes créatives, et autres ingénieurs. Nous sommes une PME, notre mission n’est pas de faire que de la recherche fondamentale, nous sommes toujours guidés par les besoins du marché.
Développement d’une matrice d’analyse de cycle de vie, certification 14001, réflexion sur la fibre de chanvre…le développement durable semble particulièrement important pour l’entreprise. Est-ce à la fois une logique responsable et sociétale, et une réponse à la demande des consommateurs finaux ?
Le travail effectué tout au long de certification 14001 fait partie d’une réflexion plus générale sur les impacts environnementaux. Notre conclusion principale est que les efforts actuels ne sont malheureusement pas suffisants, en particulier lors de l’étape du lavage ; en effet, nous avons évalué que 25 % de la pollution est liée à la production du produit , les 75 % restants sont dus au lavage. Nous avons donc de façon logique choisi d’essayer de trouver une solution d’accompagnement et non nocive à proposer à nos clients. Le résultat est une lessive écologique, 100 % végétale et biodégradable, qui répond à une demande du marché, même s’il reste une information importante à faire auprès du consommateur sur l’existence et la disponibilité de ces solutions alternatives.
Intégration de fibre optique dans un tissu, lessive écologique, vous ne vous interdisez rien dans le domaine de l’innovation. Le secret de la longévité d’une PME textile française serait-elle finalement liée avant tout à sa capacité à oser et à prendre des risques ?
Nous sommes effectivement à l’origine d’une technologie qui permet d’insérer de la fibre optique, connue pour être très cassante, dans un tissu. Cela illustre le modèle de réflexion qui nous inspire et nous anime, partir d’une problématique existante et proposer une solution innovante.
Notre traitement anti-tâche Green Sweet en est le parfait exemple, puisqu’ici l’inspiration est familiale ! Avec cinq enfants à la maison, nous connaissons bien la problématique des tâches générées lors des repas. De ce constat est née une réflexion pragmatique et originale pour tenter de limiter ce problème, de façon efficace et saine.
Autre exemple, un nouveau process que nous avons développé afin de produire des petites séries et adapté aux contraintes environnementales, ce qui nous donne un avantage compétitif. Sur notre territoire vosgien, le tissu industriel textile est souvent traditionnel, et encore relativement peu connecté aux innovations comparativement à d’autres secteurs. Il est vrai qu’il existe une sorte de barrière psychologique, mais nous agissons fortement pour sortir de notre zone de confort.
Cette capacité a explorer de nouvelles voies est très positive au sein de l’entreprise, très motivante. De nouveaux produits naîtront bientôt de cette dynamique. Petit scoop d’ailleurs, une idée de mouchoir innovant est en cours de développement, qui devrait être disponible pour l’hiver 2019-2010 ! Et nous travaillons sur une nouvelle fibre sur la base du chanvre cultivé en France, vers une solution alternative pour limiter notre dépendance au coton à terme.
Certaines marques misent avant tout sur les réseaux sociaux pour être plus proches de leurs clients. Vous avez fait le choix d’approfondir votre relation au consommateur avec d’autres « outils », en participant notamment à la mise en place de « La route numérique du textile ». Est-ce une traduction concrète du nécessaire « local contre le low-cost » qui vous est cher ?
Si notre industrie est locale, il nous est absolument nécessaire d’avoir une vision globale du monde. Il ‘agit de respecter un certain équilibre entre les deux univers. De la même façon, nous ne pouvons nous contenter d’être des suiveurs, le rythme et la vitesse des cycles s’accélèrent constamment, mais de nouvelles matières ou de nouveaux process n+e peuvent pas être développées en 3 mois !
Travailler sur la revalorisation de l’image de notre marque territoriale Vosges Terre Textile, une marque collective initiée par le Syndicat textile de l’Est, a donc permis de fédérer les différents acteurs autour d’un même objectif. L’effort de digitalisation sur les réseaux sociaux est important, et la création de la route numérique nourrit une nouvelle dynamique. Nous apprenons à faire du marketing industriel, à ouvrir et faire visiter nos usines, physiquement et même virtuellement car pour certaines activités cela était difficile pour des questions de sécurité (ennoblissement par exemple).
Grâce à des panneaux et des QR codes, le patrimoine industriel entre dans une nouvelle modernité, on crée un nouveau lien avec le consommateur. Et en associant ce consommateur, en lui faisant prendre conscience de sa propre responsabilité en tant qu’acteur économique et social, nous renforçons notre engagement et notre lutte du « fabriqué localement » contre le « fabriqué low cost ».
Le label « France terre textile » a été lancé à l’initiative du Syndicat textile de l’Est, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur son fonctionnement, et ses garanties en termes de « fabriqué en France » ?
Ce label est plus qu’une simple garantie d’origine de la production, il donne une importance sociale et sociétale au produit. L’idée initiale portait sur une AOC industrielle car nous faisions partie d’une filière de PME relativement atomisée, sans grand leader national ou international. Nous devions être proactifs, et à partir du label Vosges Terre Textile se sont déclinés les label Alsace, Nord, Auvergne Rhône-Alpes, et enfin Champagne-Ardenne. La logique voulait qu’on donne une cohérence à tous ces labels, c’est ainsi que France Terre Textile est né.
La vigilance porte en particulier sur la fabrication locale, on ne doit pas proposer n’importe quoi. Des contrôles et audits sont donc effectués sur chaque zone, par exemple par l’IFTH ou d’autres laboratoires indépendants, et des points sont attribués à chaque étape du process. C’est la différence fondamentale avec d’autre labels existants, qui évaluent surtout la valeur ajoutée réalisée sur le territoire, ce qui peut ne concerner qu’une seule étape du process réalisée localement, souvent en aval du process.
Il existe aujourd’hui un réel besoin de communication sur ce label, il faut le faire connaître et faire adhérer le consommateur, puisque l’on sait qu’une demande existe. Nous rencontrons actuellement plusieurs entités, des hommes politiques, la presse, des syndicats professionnels…pour dire que France Terre Textile existe et expliquer tout son intérêt .
Le 10 octobre dernier s’est justement tenue une rencontre entre industriels du label France Terre Textile et une quinzaine de députés. Ont été soulignées des problématiques de connaissance et de reconnaissance de la filière française, notamment auprès des créateurs et marques, ainsi que les besoins en formation, recrutement, accès aux marchés publics entre autres. Quel regard portez-vous sur l’évolution de votre métier, et sur l’industrie textile habillement de façon plus générale ?
Une certitude, notre filière est une filière d’avenir, le génie français est bien réel !
Si les problématiques du coût de main d’œuvre ou des droits de douanes restent extrêmement fortes, nous avons les atouts pour nous positionner avec des innovations de rupture et des tissus plus techniques.
Mais pour cela, il est nécessaire d’agir de façon renforcée sur la formation car nos besoins en recrutement sont importants, la filière aujourd’hui est sous tension, l’offre est supérieure à la demande. Nous pallions aux problèmes actuels en investissant de façon importante en formation interne, mais sans visibilité future et sans garantie. Par exemple, dans notre cas nous somme en concurrence directe avec le secteur du tourisme. De nombreuses personnes recrutées et formées dans nos usines choisissent d’aller travailler comme saisonnier(e)s dès que la saison des sports d’hiver arrive !!
Heureusement, les choses bougent doucement, il y a une nouvelle volonté politique de faire évoluer la législation, et nous réfléchissons notamment à rapprocher nos besoins de ceux du secteur du papier, avec le CFA papetier, afin de travailler sur un tronc commun de compétences garanti en sortie de formation. Là encore, être imaginatif est essentiel !
Propos recueillis par N. Righi – Décembre 2018
Photos: tous droits réservés -Garnier Thiebaut