S’il existe un dénominateur commun entre les univers du prêt-à-porter, du linge de maison, de la lingerie, de la mercerie, ou bien encore des textiles à usages techniques, c’est bien le ruban biais. Et s’il est un élément essentiel pour obtenir une finition irréprochable sur un produit, sa vocation dépasse largement aujourd’hui l’esthétique, et ce petit tissu étroit permet de proposer une palette de plus en plus variée de fonctionnalités.
Figurant parmi les leaders mondiaux dans la production d’accessoires textiles et de garnitures textiles étroites, la société française AJ Biais représente près de 125 ans d’expérience et de compétences mises au service du développement et de la fabrication d’accessoires textiles de haute qualité. L’usine principale est située en France, mais l’entreprise est également présente en Tunisie, au Portugal en partenariat avec des ateliers existants, et dispose d’une implantation en propre en Chine.
Si la transparence et le dialogue sont des valeurs clés de l’entreprise, le professionnalisme, la flexibilité et l’innovation sont également ancrées dans son ADN. Directeur général d’AJ Biais, Raphaël Laval a accepté de nous présenter les éléments clés de la stratégie de développement de l’entreprise, axée en particulier sur l’innovation, les textiles à usages techniques, et la personnalisation accrue de la relation client, mais avant tout centrée sur la volonté d’agir de façon responsable, dans le bon sens, mais surtout avec du bon sens.
Comment la démarche globale d’innovation prend-elle vie au sein de l’entreprise, comment s’est-elle structurée avec le temps, notamment avec la diversification vers le textile technique ?
C’est un état d’esprit et une stratégie qui s’appuie sur deux axes. Nous avons tout d’abord eu l’intention de restructurer l’entreprise par grands domaines d’activités stratégiques, il y a maintenant trois ans, et dans un deuxième temps, nous avons parié sur un développement dans l’univers des textiles à usages techniques, avec l’idée de pouvoir proposer une solution globale de bordures qualifiées de « techniques » à nos clients et aux prospects. Pour nous donner les moyens de nos ambitions, nous avons intégré de nouvelles compétences en recrutant une ingénieure textile entièrement dédiée à la recherche et développement sur les bordures textiles à usages techniques. Nous avons d’ailleurs été accompagné dans ce process par l’IFTH afin de limiter notre risque et de prendre le temps de structurer cette nouvelle activité.
Trois orientations prioritaires ont par ailleurs été définies : la résistance à l’abrasion, la résistance au feu, et la fonctionnalisation du textile. Le biais a cette capacité particulière de faciliter l’usage de la bordure, c’est donc un « facilitateur d’usage » à part entière. Il ne s’agit donc pas pour nous de simplement transformer le tissu ou le vêtement de notre client, mais bien d’être à l’écoute de celui-ci pour répondre parfaitement à son cahier des charges, de proposer une bordure ou une finition en biais pour que la fonctionnalité attendue soit facile à activer.
Cela demande une réelle réactivité, une capacité à s’adapter rapidement, une flexibilité accrue. Au-delà de nos compétences et de notre polyvalence internes, nous nous appuyons sur des partenaires tisseurs, ennoblisseurs…Ensemble, nous sommes effectivement plus forts !
Pourriez-vous nous présenter votre dernière innovation, le ruban biais CORDURA®, et la génèse de ce projet ?
Il s’agit vraiment d’une rencontre entre deux industriels ayant des problématiques croisées, qui se sont donc tout naturellement rapprochés pour créer un produit attendu par de nombreux marchés. En effet, la société Sasytex, spécialisée dans le développement et de la production de textiles techniques personnalisés, faisait face à une demande d’un de ses clients. De notre côté, nous souhaitions renforcer notre offre technique, notamment en direction des services des Forces armées. Après avoir échangé sur nos problématiques, être allés chercher l’expertise de chacun, et avoir exploré plusieurs pistes de développement différentes, nous avons sélectionné les performances du tissu CORDURA® , plus précisément le CORDURA® 500D / 560dtex, réputé pour sa durabilité et son excellente résistance à l’abrasion.
Ce nouveau ruban biais, alliant pour la première fois expertise technique et performance de la matière, permet de garantir aux clients ayant des problématiques de résistance à l’abrasion d’avoir 100% de leur confection réalisée avec ce matériau caractéristique. Il permet entre autres avantages d’avoir une parfaite uniformité entre le biais et tissu de fond, de garder une bonne élasticité de la bande, mais également d’avoir des gains de productivité lors de la pose du biais. D’autre part, il garantit aux clients des bandes et des tissus parfaitement assortis en termes de couleurs, d’impressions et de traitements, puisque l’ensemble des éléments textiles peut être traité lors d’une même étape lors du process d’ennoblissement.
La gamme de rubans AJ Biais CORDURA® complète ainsi parfaitement la gamme de tissus en polyamide 6.6. haute ténacité CORDURA® fabriqués par Sasytex. Et puisque nous sommes les premiers et seuls à proposer ce produit, nous avons conclu un accord commercial avec CORDURA® afin d’être le partenaire privilégié à contacter lors d’un besoin en biais CORDURA®.
Intégrer la soudure haute fréquence ou encore investir dans l’impression numérique sont un véritable choix stratégique, qu’est-ce qui vous a décidé à intégrer ces technologies en interne ?
Cela a été exprimé précédemment, la recherche de réactivité, le besoin en flexibilité et en souplesse devient extrêmement important au sein de notre activité. C’est vraiment dans cet objectif que nous décidons d’investir en propre dans certaines techniques ou technologies.
Ces investissements nous permettent de maîtriser de façon encore plus précise et efficace la chaîne de fabrication, surtout lors de la phase de mise au point des produits. Nous sommes alors en capacité de répondre très rapidement à un besoin client. Et concernant l’acquisition des savoir-faire liés à ces technologies, nos collaborateurs sont formés dans un premier temps de façon empirique, en interne, puis avec des partenaires externes ayant les compétences nécessaires lorsque le besoin se fait ressentir d’aller un peu plus loin, de franchir un cap dans l’optimisation de notre utilisation des machines.
Le biais est un peu un ovni dans le monde du textile, situé entre le tisseur au large et l’utilisateur du produit, et nous sommes en permanence en recherche de méthodes issues du monde de la confection mais aussi de celui des tisseurs ! C’est aussi pour cela que nous fonctionnons assez souvent in interne, afin de protéger en partie nos méthodologies, développements et autres astuces liées à notre activité particulière, et de garder notre longueur d’avance sur la concurrence.
La Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) fait partie des engagements stratégiques du secteur, quels sont les projets ou actions déjà mis en œuvre chez AJ Biais ?
Nous essayons modestement et à notre échelle de réduire notre impact sur notre planète, en privilégiant les actions de « bon sens ». Nous choisissons dès que possible des circuits d’approvisionnement plus courts : aujourd’hui, presque 60% de nos achats de matières sont effectués en zone Europe et proche Europe. Et lors de nos échanges avec des clients qui souhaitent avoir des matières biologiques, ou recyclées, il nous semble important de rationnaliser à chaque fois ce choix : faire venir par bateau du coton bio de l’autre bout du monde n’est peut-être pas toujours la solution à privilégier pour obtenir un produit vraiment responsable ! Réduire les kilomètres parcourus, favoriser la réduction des pesticides…sont autant d’actions à mettre en perspectives lorsque l’objectif est devenir vraiment plus responsable et plus durable.
Autre exemple d’action concrète, nous disposons depuis plusieurs années de plus de 1000 m² de panneaux photovoltaïques disposés sur le toit de l’usine française d’AJ Biais, qui nous permettent d’être autonome en électricité, et d’avoir un bilan carbone nul lorsque nous produisons.
Vous disposez déjà de plusieurs implantations à l’étranger, en particulier pour fournir le secteur du prêt-à-porter est-ce que la fabrication française va être de plus en plus ciblée sur de nouveaux produits à valeur ajoutée ?
S’il est important de toujours proposer une certaine valeur ajoutée pour le monde de la confection, car nous avons de véritables savoir-faire dans ce domaine, nous souhaitons effectivement développer les activités et produits plus techniques et plus créatives sur le territoire national. Une styliste et un chargé de développement marketing sont dédiés à 100% au travail sur les tendances, mais également aux besoins exprimés des clients via leurs cahiers des charges, en particulier dans le domaine du prêt-à-porter milieu/haut de gamme mais aussi de la décoration par exemple. Il n’est plus question de se battre uniquement sur le prix, la différenciation se fait aussi sur la créativité sur ces marchés-là.
Nos implantations à l’étranger nous donnent l’avantage de la proximité géographique, car c’est parfois la seule façon de se différencier localement aujourd’hui face à la complexité du sourcing actuel, que ce soit dans la péninsule ibérique, en Afrique du Nord ou en Asie. Nous visitons et vérifions par nous même le respect des cahiers des charges imposés dans nos usines à l’étranger, et avons réduit notre panel de fournisseurs pour garantir une qualité accrue et assurer la transparence de notre activité.
La personnalisation des produits est déjà proposée en partie chez AJ Biais, est-ce un axe stratégique amené à toujours plus être développé dans les années à venir ?
Effectivement, comme dans l’univers de la mode, nous constatons une demande de plus en plus des clients pour de la personnalisation de leurs commandes. Et nous espérons que cela s’amplifie encore ! N’ayons plus aujourd’hui la prétention d’influencer la mode, mais donnons une envie aux stylistes, aux créateurs pour rendre leurs produits uniques. Nous sommes en capacité de répondre à ces envies grâce à l’impression numérique, à notre parc de plus de 200 machines à coudre…
Au sein d’AJ Biais nous ne parlons plus de collection mais plutôt d’impulsion : sans s’affranchir complètement des tendances, nous donnons une impulsion, et proposons d’aller vers cette voie de la cocréation avec les clients qui le souhaitent. Nous leur donnerons très prochainement les moyens de réfléchir avec nous à leurs solutions uniques grâce à une nouvelle interface digitale, de type configurateur en ligne, pour que ces clients puissent définir et exprimer leurs besoins directement en ligne.
Est-ce qu’il y a une technologie qui vous surprend plus particulièrement ces derniers temps ?
Le domaine de la réalité augmentée m’interpelle particulièrement, car j’imagine tout le potentiel existant dans cette mise en situation pour le consommateur. Ce sera sans doute un élément déclencheur vers une réalisation de la « mode 4.0 », pour « l’industrie du futur » dès lors que nous arrêterons vraiment de raisonner en coût par minute, que la réflexion sera plus globale sur l’intérêt de produire localement ou en tout cas dans des zones proches de l’Europe puisque dans le même temps la phase de création aura été plus rapide, moins coûteuse par exemple.
Plus concrètement, il semble évident que quelque chose est à envisager dans le domaine des textiles intelligents, connectés, conducteurs. A l’heure actuelle, si certains ont déjà franchi un premier pas, tout reste encore à faire, chacun cherche le produit qui sera techniquement réalisable à l’échelle industrielle et qui satisfera réellement le besoin client, sans effet gadget. Nos textiles facilitent déjà un usage, demain ils pourront sans aucun doute faciliter l’apport d’intelligence via nos tissus étroits. Il reste un beau potentiel pour créer encore de la valeur !
Propos recueillis par N.Righi – Février 2020
Visuels: AJ Biais