Dynamisme, combativité, envie d’innover font partie des qualités dont il est bien souvent indispensable de faire preuve pour entreprendre, à fortiori dans une industrie du textile et de l’habillement souvent sous contraintes. Forte de celles-ci, Séverine Crouvezier a choisi de reprendre en 2006 la PME familiale Crouvezier Développement, représentant ainsi la sixième génération aux commandes de l’entreprise. Son crédo : être proactive, parier sur l’innovation, saisir les opportunités.
C’est ainsi que d’une activité d’ennoblissement traditionnelle comme le blanchiment, savoir-faire historique de la PME, la société a intégré au fil des décennies des techniques plus industrielles, modernisées, améliorant la productivité de l’entreprise et lui permettant d’offrir plus de services à ces clients. Marchant dans les traces de ses prédécesseurs, Séverine Crouvezier croit elle aussi à la valeur du « fabriqué en France » et investit toujours dans la modernisation des machines traditionnelles, comme dans des outils de production à la pointe de la technologie, pour répondre à la demande de ses clients et aux mutations des marchés, mais aussi s’assurer du respect des contraintes réglementaires et s’engager dans une démarche de responsabilité sociale et environnementale.
Echange avec une dirigeante qui se bat au quotidien pour défendre et valoriser son activité, ses collaborateurs, et pour faire changer le regard sur une industrie textile résolument dynamique.
Crouvezier Développement peut afficher fièrement près de 150 d’existence, dans un secteur d’activité réputé difficile. « Toujours réinvestir pour aller de l’avant, pointer vers l’innovation et perdurer », c’est votre secret de longévité ?
Nous sommes une PME familiale, de petite taille, et malléable, et c’est sans doute ce q
La concurrence asiatique nous ayant, comme beaucoup de nos confrères, bien évidemment fait perdre des marchés, et nous avons alors réinvesti dès 1995 dans l’enduction, le contre collage, l’impression traditionnelle, pour réagir à cette menace. En 2015 c’est sur l’impression numérique que nous avons parié. Nous sommes des façonniers, notre mission est donc de toujours proposer un maximum de services à nos clients.
Investir dans l’impression numérique est un véritable choix stratégique, qu’est-ce qui vous a décidé à intégrer cette technologie ?
Même si ce service existe ailleurs en Europe, nous sommes à ce jour les seuls en France à pouvoir proposer un service d’impression numérique sur coton en grande largeur (3,20 mètres). C’était un pari un peu fou au départ, personne n’osait y aller, mais la demande de personnalisation du marché du linge de lit augmentant, cela valait le coup de tenter l’expérience. Et pour parfaire le process, nous avons finalement investi dans le « fixé lavé » qui puisse clôturer la ligne de production numérique sans perturber les autres lignes, même si on ne doit imprimer que 50 mètres de tissu. La prestation est donc assurée en totale « autonomie ».
L’impression numérique est un service supplémentaire qui nous permet de consolider cette offre fabriquée en France que nous revendiquons, d’autant plus que nous disposons au niveau local, et plus largement sur le territoire français de toutes les compétences, du tisseur au confectionneur, permettant de répondre à la demande avec une grande réactivité et des produits de qualité, tout en préservant les emplois.
Vous êtes labellisés Vosges Terre Textile et plus largement « France terre textile », pourquoi avoir choisi d’intégrer un système de labellisation ?
Au départ, ce n’était pas une évidence pour nous d’entrer dans ce système, puisque nous sommes des façonniers et donc des intermédiaires qui à priori n’auraient que peu d’intérêt à promouvoir un tel label auprès du consommateur final. Cependant, il s’est avéré que, au-delà de la stratégie de communication, c’est surtout un formidable outil d’échange.
Le développement durable fait partie de vos engagements stratégiques, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur sa mise en œuvre au quotidien ?
Effectivement, Crouvezier est une entreprise engagée pour la protection de l’environnement, avec l’installation d’une station d’épuration il y a déjà plusieurs années. Notre activité est industrielle et a malheureusement encore aujourd’hui un impact, notamment sur les cours d’eaux, mais nous sommes inscrits dans une démarche d’amélioration continue de nos process. Cela peut prendre du temps car il est indispensable de trouver des solutions pérennes, qui n’impactent pas notre compétitivité, mais notre objectif est de toujours faire mieux.
Nous nous sommes également aperçus que nous avions malgré nous une mission d’information du consommateur à mener, car si notre activité, en particulier de blanchiment, est souvent montrée du doigt et perçue comme particulièrement polluante, il faut bien souvent expliquer aux acteurs politiques, aux associations environnementales, et au consommateur final, que nous ne sommes pas les premiers responsables de ce problème qui vient le plus souvent des tissus que nous importons. Les écrus qui arrivent de l’étranger sont la plupart du temps porteurs de pesticides par exemple, et nous ne pouvons les contrôler à l’avance. Même le coton biologique n’est souvent pas complètement exempt de produits chimiques quand les tissus arrivent dans notre usine.
Bien souvent, il est plus facile d’avancer lorsque l’information est partagée de tous, et que chacun peut comprendre la difficulté et les enjeux de l’engagement environnemental pour chacun.
Vous participez, avec six autres PME françaises, au processus de révision des documents européens réglementaire appelés Best available techniques REFerence documents (BREF) pour le secteur textile. Pourquoi avoir accepté d’intégrer un tel processus ?
Cela fait en quelque sorte partie de notre démarche environnementale globale. Si nous sommes volontaires pour certaines initiatives, d’autres nous sont en partie imposées par la réglementation, et elles sont particulièrement contraignantes chez nous et en Europe, comme les dispositions en matière de surveillance des rejets de substances dangereuses dans l’eau (Arrêté RSDE) auxquelles nous sommes soumis.
Aujourd’hui, la directive IED relative aux émissions industrielles a comme objectif de renforcer l’utilisation des BREFs en rendant obligatoire l’application des meilleures techniques disponibles. Une fois que la collecte des données sera terminée, et que le texte sera publié, il n’y a plus aucun moyen d’agir, il faudra se soumettre à une nouvelle réglementation. Si nous n’agissons pas au niveau européen en faisant entendre nos voix françaises, alors nous devrons nous adapter à ce qui aura été décidé sur la base de données venus d’autres pays, sans autre voix au chapitre. A nous d’être proactif, et ne pas subir, mais plutôt agir, en faisant de la veille, des propositions, et ainsi nous donner le plus de chances possibles pour défendre notre métier.
La prochaine révolution industrielle est en marche dans les entreprises françaises. Vous concernant, quelle serait votre usine du futur idéale et quels sont les défis à relever ?
Pour obtenir cette polyvalence des opérateurs, il faut changer les mentalités, d’une part car c’est un des prérequis à notre survie, d’autre part car c’est une demande des jeunes collaborateurs que l’on cherche à recruter et à fidéliser. D’ici une dizaine d’année, la plupart des chefs d’équipes qui travaillent chez Crouvezier aujourd’hui seront partis à la retraite, il est vital d’anticiper ce nouveau cap. La numérisation fait partie des éléments qui peuvent séduire de jeunes recrues.
D’autres formes de recrutement permettent également cette nouvelle agilité, comme les emplois à temps partagé par exemple. Dans notre cas, nous avons pu recruter ébut 2019 une responsable webmarketing qui travaille pour une autre entreprise, et que nous n’aurions pas pu intégrer à temps plein alors même que la visibilité numérique est primordiale. Il est temps de nous faire connaître sur le web et sur les réseaux sociaux pour faire valoriser notre activité, et en particulier vendre l’offre numérique auprès des jeunes créateurs.
Il est évident qu’il est impossible de poursuivre cette course effrénée vers les prix les plus bas, nos marges ne peuvent plus suivre. Aujourd’hui, et encore plus demain, c’est le service rendu au client qui doit être valorisé. Si ce n’est pas encore le cas, il s’agit clairement de l’objectif à atteindre.
Est-ce qu’il y a une ou des technologie(s) qui vous surprenne ou vous intrigue plus particulièrement ces derniers temps ?
Je m’intéresse particulièrement à tout ce qui concerne les technologies plasma, et plus largement les process peu ou non consommateurs d‘eau, à l’instar du laser ou de l’ozone utilisé dans l’industrie du denim aujourd’hui.
La technologie plasma n’est actuellement pas assez aboutie pour répondre à nos problématiques, compte-tenus des cahiers des charges de nos clients ; il reste par exemple des soucis lors de la tenue au lavage des tissus traités au plasma…Mais idéalement j’espère pouvoir faire peut-être un jour appliquer un traitement ignifuge, ou autre, sur un tissu grâce à un process sans eau.
Propos recueillis par N. Righi – Mai 2019
Photos: Crouvezier Développement -Tous droits réservés