Aux antipodes de la fast fashion, des rythmes de collections effrénés et des styles sans cesse renouvelés, la « slow fashion » s’impose de plus en plus au cœur du paysage de la mode et de l’habillement mondial. C’est dans ce mouvement que se sont inscrites les marques De Mois en Moi, dédiée aux vêtements de maternité et créée en 2010 et Thelma Rose, sa marque « jumelle » dédiée au prêt-à-porter féminin.
Deux concepts nés des expériences personnelles de Sidonie et Stéphanie Dumoulin, les deux cofondatrices et dirigeantes de ces marques qu’elles gèrent via la société Kapital DS. Les deux sœurs sont portées par une même envie, une même ambition idéaliste : proposer aux femmes une mode raisonnée reposant sur les valeurs de respect, d’exigence, de bien-être mais aussi de partage.
Parce qu’il est aussi possible d’envisager une mode responsable et durable reposant sur des critères plus vastes que le seul choix de matières biologiques, les nouvelles marques de la slow fashion revendiquent aujourd’hui haut et fort leurs atouts maîtres.
Intemporalité, coupes justes et féminines, niveau de finition, traçabilité des matières, certification, circuits courts et made in France mais aussi sont autant de qualificatifs désignant les marques customer-centric De Mois en Moi et Thelma Rose. Les deux fondatrices ont aussi choisi de mettre au cœur de l’ADN commun de leurs marques un mélange de matières bien particulier, à la fois doux et résistant.
Sidonie Dumoulin a accepté de revenir pour nous sur leurs fondamentaux et leur aventure entrepreneuriale.
La marque De mois en Moi a été lancée la première en 2010, alors même que le secteur de la mode commençait à connaître une période plus morose. Pourquoi se lancer un tel défi sur un marché de niche, celui des vêtements de grossesse ?
L’aventure De Mois en Moi prend ses racines dans nos expériences personnelles, en particulier celle de ma sœur et associée. Maman de quatre enfants, et femme très épanouie lors de ses grossesses, Stéphanie avait constaté une offre peu séduisante en matière de prêt à porter.
En 2010, nous sommes ainsi arrivées sur le marché de la future maman avec une proposition différente. Stéphanie avait mis au point un concept particulier et unique, décliné sur des robes et tops. L’idée : proposer quelques must-have intemporels et versatiles susceptibles d’accompagner la future maman avec confort tout en préservant sa féminité et ce, jusqu’à la maternité. Une sorte de passeport bien-être, de pièce maîtresse pour 9 mois à accessoiriser en fonction du style de la femme et de son emploi du temps.
Quelles difficultés avez-vous pu rencontrer lors du développement de la marque De mois en Moi ?
Lancer la marque a finalement été relativement facile, car le produit plaisait beaucoup. Cependant, quelques années après, le marché s’est fortement contracté. De nombreux magasins ont fermé. Les prix ont été considérablement tirés vers le bas. Et De Mois en Moi s’est retrouvée en concurrence directe avec la fast fashion.
Nous vendons un produit durable, fiable, intemporel alors même que la grossesse est un état éphémère dans la vie d’une femme, comme s’il y avait une forme de contradiction perçue par les femmes. Elles ont envie de se bricoler une garde robe en attendant de re-rentrer au plus vite dans leur jean. Les primipares (premières grossesses) manquent d’accompagnement et finalement, elles peinent à se projeter à la fin de leur grossesse. De notre côté, notre discours a toujours été d’acheter peu mais bien, d’inciter à investir dans une pièce de qualité plutôt que d’acheter des vêtements qui resteront dans le placard tant ils sont inconfortables, grattent, dont le bouton du pantalon a sauté (…) Beaucoup de femmes en font l’expérience. Pourtant, ce n’est une solution ni économique, ni logique, ni écologique.
L’ADN de vos marques repose sur cette revendication affichée : proposer des intemporels féminins et durables. Mais c’est aussi et surtout un mélange de matières bien ciblées. A l’heure où tout le monde parle le plus souvent d’intégrer du coton bio pour une mode plus durable, pourquoi avoir choisi un mélange de MicroModal® et d’élasthanne ?
Concernant De Mois en Moi et Thelma Rose, je préfère parler d’une mode raisonnée reposant sur l’équilibre féminité /durabilité / environnement / prix.
Nous étions à la recherche de la matière parfaitement adaptée à notre concept de vêtement évolutif. L’idée du mélange est née après avoir touché, apprécié, manipulé des dizaines d’étoffes dans les allées des salons comme Première Vision.
Nos vêtements sont fabriqués à partir de 90% voire 92% de MicroModal®, des fibres de viscose ultrafines. Nous travaillons notamment les fils Lenzing, dont le processus de production est écologique car basé sur l’utilisation de bois de hêtre issu de forêts gérées de façon durable. Ce processus est respectueux de l’environnement grâce à une économie d’eau et d’énergie et à la récupération des ressources utilisées pendant la production des fibres. Les fils sont fins, doux et le toucher est incomparable. Le mélange avec de l’élasthanne s’est quant à lui imposé car il n’existe pas encore d’équivalent non pétro-sourcé qui puisse apporter une telle élasticité et solidité à nos vêtements sans déformation dans le temps.
Parallèlement, notre attention s’est portée sur la réduction de notre emprunte carbone, sur l’économie locale, la pérennisation des savoir-faire mais aussi la gestion des intrants chimiques. Bien sûr, il y a encore beaucoup à faire ! Certains process doivent être repensés, améliorés…
Sur un marché mode en difficulté, vous avez donc choisi de lancer en parallèle de la marque De Mois en Moi une nouvelle marque de prêt-à-porter pour femme baptisée Thelma Rose. Pourquoi faire une nouvelle fois ce pari ?
Au fur et à mesure que la marque De Mois en Moi se développait, nos clientes enceintes finissaient par accoucher et certaines nous demandaient des robes pour l’après. Parallèlement, nous rencontrions des femmes entre 30 et 60 ans qui trouvaient nos produits géniaux, notre matière remarquable. Et toujours ce même retour : je me sens belle et bien dans votre robe.
Pour nous adapter à la contraction du marché, nous avions 2 choix possibles : soit baisser la qualité, délocaliser la production et nous aligner sur les prix soit assumer le côté durable de notre collection et conquérir le marché du prêt à porter féminin. Nous avons préféré la deuxième option. En 2016, nous avons donc lancé Thelma Rose sur le marché du prêt à porter féminin haut de gamme. Malheureusement, nous n’avions plus les reins assez solides pour absorber le temps nécessaire à la lente construction d’une marque sur un marché en difficulté. Et bien que l’accueil ait été très favorable, nous avons dû renoncer au développement de Thelma Rose.
Dans la phase de destockage, nous avons rencontré une clientèle conquise par notre produit mais aussi par les valeurs portées par Thelma Rose. Leur enthousiasme nous a ainsi poussé à reconsidérer notre décision. Parallèlement à cela, la prise de recul nous a incité de nous réapproprier complètement le concept de la marque et à retravailler son positionnement. Au printemps 2019, nous avons donc relancé Thelma Rose en mode “Digitally Native Vertical Brand ” (DNVB), donc 100% digitale.
Alors pourquoi ce choix de cette « digitalisation » de la marque ?
S’affranchir des intermédiaires et proposer directement nos collections à nos clientes présentent notamment un avantage en or : pratiquer des prix beaucoup plus abordables et donc un excellent rapport qualité/prix. Ce vecteur nous a permis de développer une philosophie de marque qui n’existait pas dans la V1 de Thelma Rose, celle de rendre la qualité et l’achat raisonné accessibles. Et bien que la marque soit digitalisée, nous avons à cœur de garder un contact très humain et chaleureux avec nos clientes. Elles sont au cœur de notre attention. Nous faisons notre maximum pour que le service soit parfait (…). Nous n’hésitons pas à les appeler, nous pourrions d’ailleurs en tutoyer certaines.
Thelma Rose est pour ainsi dire une véritable aventure entrepreneuriale. Plébiscitée depuis la première heure par ses clientes et relancée sous leur impulsion. Aujourd’hui, à l’heure où de nombreuses femmes se posent la question de revenir à l’essentiel, d’acheter peu mais bien, d’acheter local (…). Thelma Rose est sans doute dans un timing beaucoup plus favorable.
J’en profite d’ailleurs pour vous glisser le témoignage de la toute première cliente de la V2 de Thelma Rose. Témoignage qui me touche énormément et que je suis très fière de partager : « J’apprécie beaucoup votre collection pour ses lignes précises, textures douces, couleurs chaleureuses. Et le bien-être qu’elle procure (…). Acheter chez Thelma Rose est une manière de prendre soin de moi avec simplicité et délicatesse. Comme prendre son temps, boire un thé au soleil, marcher pieds nus dans l’herbe, écouter un chant d’oiseau le matin, se sourire dans le miroir …. »
Que rêver de mieux comme retour client pour nous conforter dans nos choix !
Qu’est-ce qui vous surprend dans l’univers de la mode ?
Sans grande surprise, je reste profondément heurtée par le manque de considération et de responsabilité de certains acteurs qui ne prennent toujours pas la mesure de la nécessaire action à mettre en œuvre pour réellement construire un modèle durable.
Fort heureusement, il est par ailleurs encourageant de constater aussi que d’autres marques font toujours preuve d’une très belle créativité et d’engagement.
Propos recueillis par N. Righi -Octobre 2019