Mode in Textile

Interview: Sophie Beaugé-Duguet, Dirigeante de Skin’Up

Sculpter, affiner sa silhouette, raffermir sa peau, ou récupérer d’un effort physique, juste en portant un vêtement plusieurs heures par jour, est-ce possible et efficace ? Grâce à une technologie appelée microencapsulation combinée à la sélection de fibres techniques, un cosmétotextile combine l’univers de la cosmétique et de l’expertise textile pour apporter un soin cosmétique au porteur du vêtement.

Pionnière dans cet univers, la société technologique française Skin’Up conçoit, produit et distribue des cosmétotextiles, en particulier des textiles « minceurs » depuis 2005. Dès la création de son entreprise, la fondatrice et dirigeante Sophie Beaugé-Duguet a eu l’intime conviction que l’avènement des nouveaux textiles fonctionnels pouvaient en révolutionner l’usage et le bénéfice consommateur. Elle a donc développé une gamme de vêtements innovants pour les personnes en recherche de mieux-être et de performance sportive. En 2014, le magazine 60 Millions de Consommateurs a même testé la marque et a attesté que Skin’Up est la seule marque (technologique) de cosmétotextiles à présenter un pouvoir cosmétique amincissant.

Détentrice de brevets majeurs dans son domaine, l’entreprise a inauguré en 2018 son nouveau site de 1 000 m² en Touraine à Azay-le-Rideau pour répondre à ses ambitions de développement et d’innovation, et est devenu le premier laboratoire mondial de cosmétotextiles. Sophie Beaugé-Duguet revient pour nous sur les fondements, les défis relevés et les ambitions de Skin’Up .

Pourriez-vous nous revenir sur le principe de fonctionnement et les objectifs de vos produits cosmétotextiles ?

La définition de notre cosmétotextile est simple : il s’agit d’un textile qui diffuse un actif cosmétique et prodiguer un soin (non thérapeutique et non médicamenteux), au sens quasi étymologique des termes ! Le principe actif est fixé sur le textile, que ce soit dans la fibre elle-même, en superficie du fil lui-même, ou entre les fils. Alors, quelque soit la technique de tricotage employée, et quelle que soit la matière utilisée, le principe actif ne va être libéré et diffusé que par action mécanique contre la peau. De façon générale, nos produits embarquent 3 grandes technologies: un tricotage en 3 dimensions sans couture (seamless), des fibres textiles particulières (fibres céramiques, fibre de jade, fibres techniques), et la micro-encapsulation d’actifs bénéfiques pour le corps (actifs exclusivement naturels chez Skin’Up).

Visuel: Skin’Up

Selon le Bureau de Normalisation des Industries Textiles et de l’Habillement (BNITH), « un cosmétotextile est un article textile contenant une substance ou une préparation destinée à être libérée durablement sur les différentes parties superficielles du corps humain, notamment sur l’épiderme, et revendiquant une (ou des) propriété(s) particulière(s) telle(s) que nettoyer, parfumer, modifier l’aspect, protéger, maintenir en bon état ou corriger les odeurs. »

Par rapport à la définition du BNITH, je dirais que celle-ci va peu plus loin que celle de notre cosmétotextile, car elle intègre   le maintien en bon état, et la correction d’odeurs. La définition donnée ici est à mon sens plutôt orientée vers du textile fonctionnalisé de façon générale, notamment grâce à des apprêts, que du cosmétotextile au sens du bénéfice cosmétique et bien-être que celui-ci doit apporter. Mais il est certain qu’une définition officielle était essentielle, et l’action du BNITH en ce sens a permis de légitimer, de reconnaître officiellement l’existence d’un cosmétotextile en tant que produit à part entière sur le marché.

L’innovation est cœur de l’ADN de Skin’Up, comment s’organise-t-elle concrètement dans l’entreprise ? Va-t-elle prendre une autre forme, une nouvelle dimension avec votre tout nouveau centre de recherche et développement ?

Lorsque j’ai choisi de me lancer dans l’aventure Skin’Up il y a une quinzaine d’années maintenant, le textile fonctionnalisé connaissait un véritable avènement. Pour créer le produit que j’avais alors en tête, il m’a bien évidemment fallu mobiliser des énergies et des compétences extérieures. Mais il a été assez rapidement évident que développer ce nouveau produit « cosmétotextile » à partir de connaissances et d’éléments déjà industrialisés et disponibles sur le marché n’allait pas être suffisant. Je me suis donc entourée de scientifiques, de stylistes, de modélistes, et nous avons travaillé ensemble sur les meilleures combinaisons entre le textile, avec la sélection de fibres, des techniques de tricotage et d’ennoblissement, et la création des principes actifs cosmétiques. Il nous a fallu travailler en amont dans les deux domaines, afin de mettre en phases les deux univers.

Le besoin d’internaliser les compétences s’est très tôt fait ressentir, concrétisé par la création d’un petit laboratoire dès la création de l’entreprise, avec la présence d’un doctorant scientifique et réglementaire depuis le début de l’aventure. Dix ans après, nous passons un cap avec un nouveau laboratoire intégrant de nouveaux équipements textiles permettant de travailler en recherche et développement sur les fibres, sur les formulations cosmétiques…ce qui va nous permettre de travailler de tester lors de toutes les phases de développement du produit, en amont lors de la création, pendant la fabrication, après la phase de production, et même après la mise sur le marché du textile. Nous disposons notamment d’un équipement pilote d’encapsulation normalisé au sein de ce laboratoire.

Notre volonté est de pouvoir maîtriser l’ensemble de la chaîne, de créer nos propres capsules d’actifs. Nous allons jusqu’au stade pré-industriel, et ensuite nous transférons à l’usine de production. La phase de production, en particulier le tricotage, est sous-traité en Turquie, mais l’ingénierie textile est partagée entre la Turquie et la France, avec des échanges quotidiens. Nous nous rendons une fois par mois chez nos sous-traitants turcs et nous nous assurons du respect de notre cahier des charges. Maîtriser toutes les étapes de la création et de l’utilisation d’un cosmétotextile, jusqu’au suivi de la qualité et de la traçabilité des produits doit nous permettre d’atteindre notre ambition : devenir le référent national et international des cosmétotextiles.

Si l’essentiel de la R&D est géré en interne pour innover et protéger vos savoirs et savoir-faire, travaillez-vous parfois en mode collaboratif ? L’échange est-il essentiel pour avancer, d’où l’intérêt d’être situés au cœur de la Cosmetic Valley ?

Même s’il a pu être difficile de travailler en mode projet avec certains partenaires académiques au début de l’aventure, je reste aujourd’hui persuadée qu’il est important d’avancer en collaboration avec d’autres entreprises, d’autres acteurs, en particulier pour la recherche de nouvelles applications des cosmétotextiles. Cela permet de partager des connaissances, des équipements, des ressources matières, etc.

La barrière entre secteur public et secteur privé devrait ainsi assez naturellement se lever lors de ce type de projet, or on constate encore des difficultés à échanger facilement d’un côté comme de l’autre. D’où l’intérêt effectivement d’être au cœur de la Cosmetic Valley, afin de faire progresser tous ces échanges ! Adhérer à ce pôle de compétitivité, reconnu sur la scène internationale, nous permet aussi d’être identifiés immédiatement comme entreprise innovante. Avec ses brevets déposés et reconnus sur le plan mondial, la marque peut mieux revendiquer sa maîtrise des technologies du cosmétotextile.

Mais plus largement, je reste avant tout fière d’entreprendre en France, au cœur de la Touraine, où la première pierre des cosmétotextiles a été posée, et de pouvoir œuvrer pour en faire le territoire de référence encore une fois.

Skin’Up a réussi visiblement à pérenniser son activité dans la durée sur un marché qui a pourtant tardé à se structurer, avec des produits qui ont mis du temps à être connus/reconnus par les consommateurs. Quelles difficultés avez-pu rencontrer au démarrage du projet pour assurer son développement ? Avez-vous pu bénéficier de certaines aides financières (CIR…) ?

Effectivement, la société a mis près de dix ans à réellement se développer ! La principale difficulté que nous avons rencontrée a été de pénétrer sur un marché finalement peu structuré, face à quelques concurrents investissant massivement pour la plupart dans la communication au détriment de la recherche et de l’amélioration de la technologie, du  développement produit, ce qui a pu conduire à des déconvenues auprès des premiers clients, avec une promesse de soin et d’efficacité décevante, voire non tenue. L’expérience prouve que la démarche de Skin’Up de prendre le temps de bien comprendre le besoin et comment apporter le bénéfice client promis et attendu, d’investir en R&D pour concevoir le bon produit, était la bonne !

Aujourd’hui, les consommateurs sont extrêmement attentifs aux allégations concernant un produit, notamment en termes d’éthique. Skin’Up s’engage à apporter un nouveau bénéfice au consommateur, à diffuser un soin grâce au port d’un vêtement. Il n’existe pas d’équivalent, en cosmétique, à l’action d’un cosmétotextile. Un principe actif cosmétique ne se diffuse pas seul sur toute la journée sur le corps, et un textile ne peut apporter un effet cosmétique seul, sans principe actif ajouté. C’est la combinaison des deux univers qui apporte ce bénéfice client.

Cette envie de créer un produit différenciant, innovant, nous a permis d’être soutenu financièrement par BPI France, d’avoir le statut de Jeune Entreprise Innovante dans la première phase de développement de la société. C’est ce qui nous a permis de garder en permanence notre niveau d’engagement R&D. Et depuis la création de l’entreprise, nous travaillons avec le système du crédit impôt recherche (CIR), depuis la génèse de l’idée jusqu’au dépôt de brevet.

Concernant la distribution de vos cosmétotextiles, vous travaillez avec des commerces physiques (pharmacies, parapharmacies et autres…) pour référencer votre produit, pour quelle(s) raison(s) est-ce important de garder ce circuit « physique » alors même que l’e-commerce est un vrai relais de croissance ? L’omnicanal est-il le réseau de distribution idéal ?

Une des grandes problématiques des cosmétotextiles reste encore aujourd’hui la stratégie marketing, car il n’existe pas de canal de distribution dédié. Vous ne trouvez pas par exemple de rayons dédiés aux cosmétotextiles dans les magasins. Et s’il est surprenant de trouver un legging au rayon cosmétiques, il peut aussi être déconcertant de le trouver au rayon mode.

Dans la première phase de Skin’Up, la commercialisation a été concentrée sur le circuit « offline », dans les boutiques physiques, avec notamment un référencement dans les plus belles pharmacies de France. Mais assez rapidement, les sollicitations sont arrivées de la part des distributeurs sur le web. Le grand intérêt du digital, c’est que vous avez l’espace et le temps d’expliquer comment fonctionne votre produit, le consommateur comprend l’argumentaire, que le produit est de qualité, qu’il est testé et sans aucun danger pour sa santé, prend connaissance de la promesse d’un textile de soin « dermato-friendly », et dès que l’on est en phase le consommateur achète le produit.

Autre intérêt, le volume des ventes est plus important en ligne qu’en magasin. Aussi, pour une raison économique, mais également face à la nécessaire refonte du retail physique dans notre domaine, j’ai choisi de privilégier l’e-commerce. Cependant, il n’est pas question d’exclure le circuit de distribution physique, et nous réfléchissons à des solutions marketing innovantes dans ce domaine.

Vous avez de nouveau été lauréats des Victoires de la Beauté en 2019. Est-ce une reconnaissance supplémentaire pour consolider votre développement, en particulier à l’export puisque vous avez déclaré « 2019 sera l’année de l’international. Aujourd’hui, on fait 80 % de notre chiffre d’affaires en France, d’ici trois ans, on fera 80 % à l’export » ?

C’est avant tout un excellent test. Lors de ce concours annuel, les produits sont testés par des volontaires encadrés par laboratoires indépendants, avec un véritable objectif de satisfaction du consommateur, et là nous sommes sans filet ! Chaque année, une centaine de personnes testent notre nouveauté, et la plupart du temps nous obtenons de très bonnes notes. Cela nous permet donc de valider le bénéfice client et d’être reconnus dans le monde de la beauté, dans un cadre totalement indépendant.

Ce prix est aussi une reconnaissance avec cette French Touch visible à l’international, notamment dans le domaine de la cosmétique de luxe à la française. Skin’Up a initié sa présence physique dans quatre villes dans le monde : à Paris bien sûr, à Hong Kong depuis deux mois, future tête de pont de la distribution sur la zone Asie, à Istanbul pour la zone Moyen-Orient, et bien entendu notre centre de décision et de recherche en France à Azay-Le-Rideau.

Vous intégrez déjà des étiquettes interactives et connectées dans vos produits, qui contrôlent l’efficacité des produits et offrent un coaching aux client(e )s. La prochaine étape est-elle déjà en réflexion, vers des textiles intégrant encore plus d’intelligence, et vers plus de conseils ?

Au-delà du brevet que nous possédons effectivement sur le témoin d’efficacité, nous travaillons sur une nouvelle génération « d’étiquette » permettant d’améliorer l’accompagnement du consommateur pour l’utilisation de son produit. La relation client à construire est le véritable sujet pour toute entreprise aujourd’hui, et est exacerbée par la relation digitale.

Concernant d’autres technologies permettant d’intégrer des fonctionnalités « intelligentes » dans les produits textiles, comme les fibres conductrices par exemple, nous nous intéressons bien évidemment aux potentiels développements intéressants dans ce domaine. Cependant, cela demande d’intégrer des compétences non-textiles, comme l’électronique en particulier, et de réfléchir aux aspects de gestion des données qui pourraient être recueillis et analysés par de tels systèmes.

Nous n’avons actuellement pas les ressources en interne pour de tels projets, mais nous espérons pouvoir travailler un jour de façon naturelle avec d’autres partenaires sur ces sujets.

Quelles tendances de fond pourraient selon vous marquer profondément le secteur des textiles fonctionnels durant les prochaines années ?    

La prise en compte de l’environnement et la durabilité sont bien entendu au cœur du secteur. Nous avons-nous-même débuté une démarche RSE, liée aux valeurs portées par Skin’Up. Un projet est en cours sur l’intégration de fibres recyclées, sur la récupération des cosmétotextiles…mais tout cela doit être communiqué au client, une véritable stratégie marketing initiée, et cela prend du temps.

Le consommateur a besoin d’être rassuré. Si une entreprise comme Skin’Up existe et dure dans le temps, c’est bien parce que notre produit est « safe », contrôlé, testé, efficace, …Tout textile fonctionnel apportant de nouveaux bénéfices consommateurs doit tenir sa promesse. Et l’industrie textile de demain a un vrai rôle à jouer, je dirais presque en termes de santé publique ! Nous portons nos vêtements toute la journée, le textile est la première couche près de notre peau.

La filière textile devra donc de plus en plus être capable de rassurer ses clients, de mettre aux normes son outil de production, de se réinventer, de produire un support textile apportant un bénéfice consommateur sûr et innovant, que ce soit un soin ou une fonctionnalité. Elle devra de plus en plus rassurer le consommateur en assurant la transparence, la traçabilité, l’innocuité de son produit pour le porteur et pour son environnement, et l’accompagner pour qu’il puisse profiter de toutes les fonctionnalités de son textile, en lui indiquant notamment les meilleures conditions d’utilisation et d’entretien possibles.

Propos recueillis par N. Righi -Janvier 2020