Mode in Textile

Interview: Wye-Peygn MORTER, co-fondatrice de Réjeanne

Difficile de parer de chic et de glamour le corps féminin lorsque celui-ci entre dans son cycle menstruel ?  Deux ex-avocates, Alexandra Rychner et Wye-Peygn Morter, se sont engagées pour relever le challenge. Ensemble, elles ont lancé Réjeanne, marque pionnière des culottes menstruelles imaginées comme de véritables pièces de lingerie et 100 % fabriquées in France.

Il y a trois ans, les deux jeunes néo-entrepreneuses ont relevé un défi à la fois simple et complexe : redonner à chaque femme la liberté qu’elle mérite grâce à une culotte à la fois élégante et innovante, présentant une absorption performante mais adaptée aux différents flux menstruels, réalisée avec des savoir-faire textiles traditionnels dans l’esprit haute couture français. Soutenues financièrement par un financement participatif important, significatif d’un besoin pour de nombreuses femmes, Alexandra Rychner et Wye-Peygn Morter créent en 2018 la culotte Réjeanne comme une pièce de lingerie technique et déposent un brevet sur son assemblage unique. Elles n’oublient pas de la rendre économiquement accessible sur un marché en très forte croissance, porté par la prise de conscience écologique et preneur de produits durables permettant de limiter l’impact environnemental des protections périodiques jetables.

Conséquence de l’embellie du secteur, l’arrivée sur le marché de culottes fabriquées à l’étranger aux compositions parfois opaques, voire dangereuses, font naître de légitimes questions.  Réjeanne s’est engagée dès le premier prototype sur un produit sain pour le corps des femmes, notamment avec des tissus certifiés Oeko-Tex, et limite son impact écologique en garantissant la durabilité à l’usage de ses pièces ainsi que la traçabilité de la fabrication en circuit court.  Et si Réjeanne se revendique comme une véritable marque « digital native » avec une véritable communauté de fidèles abonnées, elle a su nouer des relations de confiance avec ses partenaires industriels, qui lui permettent d’assurer une véritable démarche d’innovation et d’amélioration continue. Wye-Peygn Morter revient pour nous sur ce qui fait l’ADN de Réjeanne, et sur les éléments fondateurs des nombreux succès rencontrés en seulement trois ans d’existence.

Vous avez choisi de miser sur une innovation produit pour lancer votre marque, pourriez-vous revenir sur la genèse de cette innovation technologique ?

Le concept de Réjeanne est né de notre propre frustration ! En 2017, des culottes de règles existaient notamment déjà aux Etats-Unis, mais les modèles étaient vraiment basiques. Notre prise de conscience de ce manque de glamour a été particulièrement importante après nos accouchements, lorsque les cycles menstruels des femmes sont particulièrement imprévisibles, et qu’en tant que jeunes mamans nous passions un certain temps à essayer de dénicher les meilleurs produits pour nous faciliter la vie. Or le constat était sans appel : nous avions le choix entre ces culottes menstruelles sans design, en générales noires, et des paquets de slips en coton à bas coût dans lesquels placer nos protections périodiques jetables, quitte à jeter les-dits slips avec !

L’innovation Réjeanne repose sur notre envie commune, avec Alexandra, d’avoir certes accès à des culottes menstruelles efficaces mais sans devoir renoncer à de beaux produits de qualité. Nous avions envie d’un produit confortable, glamour, chic, sans risque pour la santé. Un produit que nous puissions être fières de porter au quotidien. C’est dans cette esprit que l’aventure Réjeanne a commencé, et que nous avons lancé la campagne de financement participatif sur la plateforme Ulule. Son succès nous a confirmé le besoin que nous pressentions sur le marché. D’autres acteurs se sont d’ailleurs lancés ensuite, aussi bien de jeunes entreprises que des grandes marques de lingerie parfaitement installées sur le marché.

Nous avons eu la chance d’avoir le soutien d’ateliers de confection qui ont crû en notre produit, alors même qu’ils ne le connaissaient pas. Alexandra et moi-même avions une vision très précise de ce que nous voulions porter et proposer. C’était de la haute lingerie, à l’instar de la haute couture, avec l’efficacité d’une protection périodique. La France reste à travers les temps la référence mondiale de la mode, de la lingerie, et du glamour. Les savoir-faire ont su, malgré les difficultés et les délocalisations, rester ou revenir sur notre territoire national. Nous avons découvert tout le potentiel des industriels textiles français, aux étoffes et matières exceptionnelles, avec par exemple les dentelliers. Seul l’élasthanne que nous devons parfois utiliser vient d’Italie, le reste de nos étoffes est approvisionné en France. Les synergies se sont finalement créées naturellement autour de notre innovation car elle a du sens pour chacun des acteurs qui nous accompagnent.

Pourquoi avoir choisi de la protéger formellement par un brevet ?

Sans doute une déformation professionnelle de nos précédentes carrières d’avocates ! Plus objectivement, nous considérons le brevet comme un véritable moyen de nous protéger. Au début du projet, en observant plus attentivement les propositions des acteurs reconnus à l’étranger comme Thinx ou Modibodi, nous avons en effet découvert que des brevets avaient été déposés. Nous les avons alors étudiés plus attentivement, afin de ne pas développer un produit qui reprenne en partie les développements protégés dans ces documents et ainsi s’éviter de terribles conséquences financières.

Or à la lecture des textes, nous avons également pu détecter les imperfections de leurs produits, ce qui nous permis d’imaginer une solution technique optimisée, avec un assemblage technique particulier que nous avons choisi nous aussi de protéger par un brevet afin d’en empêcher toute copie. Durant tout le process du dépôt de brevet, le fait de devoir se poser, de faire un état de l’art, de réfléchir aux termes que nous souhaitions voir inscrits dans la publication a été aussi particulièrement bénéfique puisqu’il nous a permis de mettre à plat le cheminement des idées jusqu’à la réalisation finale.

N’ayant pas de connaissances initiales du secteur textile habillement, avez-vous rencontré des difficultés pour vous lancer, et en particulier trouver les partenaires volontaires pour vous accompagner ?

A l’époque de notre lancement, en 2017, le secteur n’était pas du tout concurrentiel. Aucune marque de lingerie menstruelle n’était encore présente en France, et cela nous a permis de prendre une longueur d’avance alors même que nous n’avions aucune notion d’ingénierie textile ou de confection. Comme de nombreux jeunes entrepreneurs, nous nous sommes parfois heurtées à la problématique des volumes minimums nécessaires à certains industriels pour pouvoir débuter une phase de prototypage puis de production.

Fort heureusement, nous avons eu beaucoup de chance d’avoir pu être entourées de quelques professionnels, qui ont crû en nous, que ce soit pour le développement du produit ou le conseil en propriété intellectuelle. Nous avons travaillé sur plus d’une vingtaine de prototypes avec les couturières des ateliers de confection et les échanges ont également été nombreux avec les fournisseurs de matières devenus partenaires. Finalement, ce sont eux qui ont constitué la plus efficace des équipes de recherche & développement ! La magie a opéré et le résultat est là en termes de ventes et de croissance de l’activité.

Comment travaillez-vous avec ces partenaires aujourd’hui, pour faire face à la croissance de l’activité ? 

Il est essentiel de toujours essayer de s’améliorer, de proposer des produits toujours plus aboutis, et de se différencier sur le marché. Pour notre première culotte, l’utilisation de la viscose de bambou était à l’époque peu courante et l’idée est effectivement née d’un échange avec l’un de nos fournisseurs. Nous travaillons avec eux dans une démarche d’amélioration continue des produits, des matières, des étoffes, des techniques d’assemblage, et plusieurs chantiers de R&D sont en cours alors même que nous sommes encore une jeune entreprise !

S’il nous est essentiel de toujours chercher à faire mieux, c’est un travail de longue haleine, et le fait d’être entourées d’un réseau de partenaires de confiance rend notre tâche plus facile et même particulièrement enrichissante. Nous discutons beaucoup avec eux et les idées émergent au fil de l’eau, le bureau d’études est toujours très actif !

Face à la concurrence, la performance annoncée doit impérativement être au rendez-vous. Comment testez-vous les capacités d’absorption de vos produits ?

Chez Réjeanne, le produit est au centre de toutes les actions que nous menons. Il n’y a donc pas de place pour les approximations ou les erreurs, et dans ce cadre nous avons choisi de faire appel à un organisme externe et indépendant comme IFTH qui puisse attester de façon objective que notre produit est efficace et non toxique pour la personne qui le porte. Certaines protections périodiques ont par le passé parfois été associées à des problèmes de santé, comme les chocs toxiques pour les plus graves ou l’exposition de la peau à des nanoparticules d’argent. Nous avons donc à cœur de proposer le meilleur produit possible aux consommatrices, le plus efficace et le plus sain pour chacune d’entre elles, quel que soit son profil.

Nous faisons passer des tests d’absorption à nos produits, de façon aléatoire, afin de nous assurer de l’efficacité de nos culottes. Nous proposons en effet un niveau de performance, selon le niveau de flux menstruels, à nos clientes. Si cette performance n’est pas au rendez-vous, le produit aura beau être magnifique, la promesse ne sera pas tenue et la confiance en sera affectée. L’une des grandes forces de Réjeanne est d’avoir, dès son lancement, communiqué sur cette notion de flux et proposé plusieurs modèles avec des niveaux d’absorption adaptées aux différents flux, aux différentes morphologies, de la culotte fine pour le flux léger aux modèles plus épais pour les flux abondants, jusqu’au modèle de nuit.

Si la culotte menstruelle est le produit phare de la marque, elle s’accompagne aujourd’hui de soutien-gorge, shortys, maillots de bains, qui nécessitent des savoir-faire particuliers. Le maillot de bain menstruel doit notamment proposer une protection qui ne gonfle pas dans l’eau, comment est-il né ?

Dès 2019, soit à peine une année après notre lancement, nous avons en effet lancé notre maillot de bain. Ce produit est né lui aussi d’un constat, d’un besoin, résultat des nombreux échanges avec notre communauté d’abonnées sur les réseaux sociaux. Il est important de savoir qu’à lui seul, un maillot de bain menstruel ne peut se substituer à une protection périodique en cas de flux abondant. Il n’est par exemple pas envisageable de créer une couche de protection complètement étanche sans sacrifier au confort. Et si nous comparons notre problématique au cas des couches-culottes pour bébés spéciales piscine par exemple, il est évident que la protection contre les fuites ne fonctionne que sous réserve de ne pas rester immergés trop longtemps.

Plusieurs histoires personnelles nous ont été remontées autour de ce fameux maillot de bain, puisque nombreuses sont les femmes ayant vécu des situations délicates. En effet, une tache se forme dès le moindre problème sur un maillot classique. Autant dire que passer une journée à la plage avec des enfants à gérer peut vite devenir problématique selon notre cycle et malgré les protections périodiques classiques. C’est le cas également pour les nageuses de compétition, qui ont besoin de passer de nombreuses heures à la piscine.

Nous avons donc développé avec l’un de nos partenaires industriels français un absorbant assez puissant pour faire face à ce problème, mais plus fin que l’absorbant de type éponge utilisé dans nos culottes. Une membrane imperméable compète le système qui permet d’empêcher qu’une tache ne se forme. Pour les flux légers, la protection est parfaite durant plusieurs heures, et pour les flux abondants, le maillot apporte une certaine tranquillité de l’esprit dans ces moments de loisirs et de plaisir.

Réjeanne revendique un certain nombre de labels. Pourquoi choisir d’engager certaines démarches de labellisation/certification volontaires ?

Concernant la certification Oeko-Tex, c’est une véritable garantie d’innocuité de nos produits et un label reconnu sur le marché. Une nouvelle fois, il est important pour nous de pouvoir faire attester la qualité de nos produits et la sécurité qu’ils apportent par un organisme indépendant. Entrer dans une démarche de certification Oeko-Tex Standard 100 nous permet de garantir cela, de tenir la promesse engagée auprès de nos clientes, et de créer de la confiance.

Pour le label Origine France Garantie, c’est différent car nous étions concentrées sur le développement du produit et n’avions pas réfléchi ou anticipé l’intérêt d’un marquage d’origine. Ce sont nos  nos clientes et abonnées qui nous ont interrogées sur ce point. Elles avaient remarqué que les produits étaient totalement fabriqués en France, et s’étonnaient de ne pas voir de logo permettant de revendiquer cet aspect aujourd’hui si important pour le consommateur. Etant donné que nous remplissions toutes les conditions pour l’obtenir l’OFG sans avoir à modifier quoique ce soit dans les process, nous avons franchi le pas. A noter que c’est par ailleurs une belle reconnaissance du travail de toutes les équipes qui fabriquent nos produits.

Côté matière, si nous n‘avons pas fait de démarche officielle afin de pouvoir communiquer sur ce point, notre fournisseur de coton biologique peut quant à lui revendiquer le label GOTS. C’est un élément de traçabilité supplémentaire de nos produits.

Le design résolument chic et glamour de la lingerie menstruelle Réjeanne est reconnu par les consommatrices. Comment imaginez-vous vos futurs modèles et produits ?

Ce design différenciant est impulsé par Alexandra et moi-même, et ce depuis le premier jour. Nous aimons passionnément tout ce qui touche à la lingerie et à la mode, en tant que femmes et même dans nos précédents métiers d’avocates. Certaines se passionnent pour la cuisine ou le sport, nous consacrons pour notre part beaucoup de temps aux tendances de mode ! C’est pour cette raison que Réjeanne a immédiatement été pensée comme une marque de haute lingerie, avec des marqueurs forts, des motifs uniques, des matières de qualité, des modèles travaillés. Si des culottes dites basiques sont essentielles pour certaines de nos clientes, il y a une véritable satisfaction à pouvoir imaginer les modèles qui feront la différence.

C’est un process permanent entre Alexandra, moi-même et notre styliste, avec un groupe Whatsapp qui nous permet d’échanger en s’inspirant de tout, de notre environnement, des salons professionnels, d’œuvres d’art comme de conversations sur les réseaux, de tendances détectées dans les magasins, de nos expériences, de nos préférences et envies plus personnelles, bref de tout ce qui nous façonne et nous fait évoluer au quotidien. Parfois des collaborations se nouent avec des artistes que nous adorons, et naissent ainsi des collections capsules comme celle réalisée autour des « femmes-fleurs » de Natacha Birds. Mettre un peu d’art et de poésie dans notre activité est aussi une des raisons d’être de l’aventure Réjeanne !

Les nouveaux produits naissent quant à eux généralement des demandes de notre communauté. C’est le cas du string menstruel par exemple. Mais c’est aussi pour répondre à un besoin que nous avons intégré des soutien-gorge à nos collections. En effet, certaines clientes très satisfaites de nos culottes menstruelles souhaitaient avoir accès à des ensembles complets de lingerie, avec la même qualité de confection française. Et c’est dans cette esprit que nous commençons à proposer quelques pièces de lingerie non menstruelles. Chaque évolution est toujours réalisée dans l’esprit et le style Réjeanne, et nos modèles de soutien-gorge n’ont pas d’armatures par exemple. La tendance au « no bra » qui s’est affirmée ces dernières années correspondant assez bien à la promesse de liberté retrouvée portée par nos culottes, nos soutien-gorge se devaient d’être à la fois beaux et très confortables.

Pourriez-vous nous présenter en quelques mots votre belle et inédite collaboration avec la judokate Clarisse Agbegnenou ?

Comme chacun le sait, le judo se pratique en kimono blanc et toutes les femmes qui le pratiquent connaissent une forme d’intranquillité lors de leurs cycles menstruels. La culotte menstruelle se révèle particulièrement adaptée à ce type de pratique sportive, et comme nous l’avons découvert, elle peut également l’être pour la pratique de l’équitation par exemple.

Précisons cependant que ni moi ni Alexandra ne connaissions l’univers du judo en 2020 ! Un an avant les Jeux Olympiques de Tokyo 2021, la manager de Clarisse nous a directement contacté par écrit. Le projet de cœur de cette sportive multiple championne du monde était en effet de faire en sorte de lever le tabou existant sur les règles dans le milieu du sport. Le concept et l’engagement de Réjeanne l’intéressait, et si nous ne connaissions pas encore Clarisse, la complémentarité de nos actions nous a immédiatement parue évidente.

Après quelques minutes passées avec Clarisse autour d’un déjeuner, le coup de cœur pour cette personnalité si inspirante s’est confirmé ! Cette connexion naturelle autour d’un message commun nous a conduit à imaginer et créer avec elle notre collection capsule fort logiquement baptisée Clarisse, à porter son message et être à ses côtés lors des JO 2021. L’histoire nous a donné raison d’avoir osé ce partenariat puisque Clarisse était porte-drapeau de l’Equipe de France lors de cette édition, et a remporté deux médailles olympiques. C’est incroyable de pouvoir compter sur une athlète de haut niveau si déterminée pour transmettre notre message commun ! C’est d’ailleurs avec beaucoup d’émotion que nous avons pu la féliciter lorsqu’elle a eu la gentillesse de nous faire découvrir ses médailles au sein de nos locaux. C’est une très belle personne que nous sommes fières d’accompagner.

Vous êtes une Digital Native Vertical Brand (DNVB) revendiquée, pourquoi avez noué des partenariats avec quelques points de vente physiques comme le Bon Marché et Monoprix?

Nous restons une marque « digital native », car c’est inscrit dans notre ADN, et la stratégie de développement de Réjeanne passe en priorité par la vente en ligne. Tous nos modèles sont disponibles sur notre site, des culottes aux maillots de bains en passant par les leggings menstruels. Cependant, se rendre accessible en magasin physique est devenu important pour répondre au besoin de certaines clientes de pouvoir toucher et essayer les produits avant de se lancer et de se convertir à la culotte menstruelle. Par contre, nous sommes extrêmement sélectives sur les caractéristiques des points de ventes physiques, et ne travaillons qu’avec un petit nombre de partenaires avec lesquels nous avons une belle complémentarité.

Quelle(s) marque(s) de mode vous inspire plus particulièrement ?

Difficile de choisir parmi des milliers de marques ! Lors de notre lancement sur la plateforme Ulule, la toute jeune marque de vêtements masculins Asphalte venait tout juste d’y promouvoir son Pull Parfait, et j’étais fascinée par sa réussite.  Depuis lors, je reste connectée à leurs communications que j’apprécient toujours autant.   Et dans un tout autre univers, la marque française de cosmétiques vegan Typology présente une certaine obsession du produit, de la qualité, et est porteuse d’un message qui m’inspire énormément.

Propos recueillis par N.Righi -Mars 2022