« Soutenez nos industries, soutenez l’emploi local, préservez l’environnement, achetez la qualité française », c’est en substance et sous le hashtag explicite #JeSoutiensLeTextileFrançais que l’Union des Industries Textiles(UIT) lance en ce début juillet une campagne de communication inédite, afin de sensibiliser l’opinion publique sur l’importance de privilégier les achats de textile français.
Car si la dynamique exceptionnelle créée autour de la fabrication de masques ces derniers mois a permis de braquer les projecteurs, une fois n’est pas coutume, sur les industries du textile et de l’habillement françaises, ancrer les valeurs et les vertus du fabriqué en France dans les habitudes d’achats des consommateurs individuels, des acheteurs privés et des pouvoirs publics, reste un travail de longue haleine.
PDG de l’entreprise Tenthorey, actif ambassadeur des masques grand publics français, et président de l’Union des industries textiles (UIT), Yves Dubief revient pour nous sur les besoins et revendications de la filière textile alors même que la crise sanitaire a mis en exergue l’agilité, l’engagement et les ressources des industriels français.
L’UIT lance une campagne de communication auprès du consommateur final, et c’est une grande première. Est-ce essentiel de « retisser le lien » avec l’ensemble des consommateurs dès cette « sortie » de crise, alors même que l’économie nationale est fragilisée ?
Le textile fait partie intégrante de notre quotidien : nous en portons tous les jours, nous l’utilisons, mais nombre de consommateurs ne savent pas comment il est fait, quels sont les impacts de sa fabrication. Cette campagne de communication a pour objectifs d’orienter les français bien entendu, mais plus largement les différents commanditaires aux seins des entreprises, collectivités locales, et pouvoirs publics, de les sensibiliser sur leur responsabilité sociétale engagée lors de leurs achats, de les informer sur le cercle vertueux d’un changement de consommation sur notre territoire. Car ce sont plus de 100 000 salariés et 4 200 entreprises de la filière textile et habillement qui œuvrent au quotidien en France pour tisser, tricoter, ennoblir, fonctionnaliser, confectionner des textiles performants, durables et de qualité.
Il est absolument essentiel que les industriels puissent trouver rapidement tous les éléments permettant de retrouver un certain niveau de compétitivité, indispensable pour garder nos activités existantes en France, avant même de relocaliser d’autres savoir-faire, et ce grâce à un accompagnement réel, effectif et accru de l’Etat, et une connaissance et une confiance retrouvée auprès des consommateurs.
Retisser les liens, c’est également ce qui s’est passé entre les différents acteurs des filières mode textile habillement ?
Effectivement, si ces derniers années les chemins des industriels du textile avaient pu parfois s’éloigner quelque peu de ceux de la filière habillement, l’engagement commun -et hors du commun- formé autour de la fabrication des masques grands publics s’est révélé extrêmement enrichissant. Il nous a permis de réapprendre à travailler ensemble, de nous retrouver, et ce dans une démarche altruiste pour répondre au besoin de la population.
C’est le propre d’une crise d’être révélatrice de certains traits de caractère, et nous avons pu montrer au plus grand nombre notre agilité, notre adaptabilité, notre esprit d’équipe, mais aussi la prise de risques, l’engagement, voire l’abnégation dont nos entrepreneurs et collaborateurs peuvent faire preuve au service de notre pays, de sa population, et de son économie.
C’est également le clin d’œil que nous souhaitons faire à travers cette campagne : « nous avons été au rendez-vous, tous ensemble, ne nous oubliez pas ».
Les textiles à usages techniques représentent une des activités industrielles qui connaissait une progression constante depuis plusieurs années en France avant le confinement. Est-il possible de faire un premier bilan « à chaud » de l’impact potentiel de la crise sur le secteur ?
Le textile est utilisé dans la quasi-totalité des secteurs industriels : dans l’habillement, le transport (automobile, ferroviaire, aéronautique), l’agriculture, le médical ou le sport, les EPI, le bâtiment ou l’électronique. La France est effectivement, début 2020, le deuxième producteur européen de textiles techniques -hors habillement et linge de maison – derrière l’Allemagne. Avec un transport aérien quasiment arrêté encore à ce jour, il est clair que les sous-traitants textiles d’une industrie aéronautique qui accuse déjà une baisse dramatique de son activité souffriront eux aussi d’un effet de crise important. Dans le secteur automobile, si le mois de juin a été meilleur que prévu, les effets de déstockage massifs encouragés par les primes gouvernementales vont se dissiper dans les prochains mois, et il est difficile de présager à ce jour d’une possible rapide reprise du marché. Mêmes incertitudes dans le secteur du bâtiment, et dans celui des équipements de protection individuelle, ce dernier étant fortement corrélée à la reprise générale d’une activité industrielle . Au final, ce sont les secteurs du textile technique sportif et de du textile médical qui pourraient être les moins impactés par cette récession.
Les industriels français du textile ont réussi à maintenir en moyenne 60% de leur niveau d’activité ces dernières semaines, à relativiser bien évidemment avec quelques PME qui ont pu rester à 100% avec les masques notamment, alors même que d’autres n’ont pu le faire et ont dû fortement recourir au chômage partiel par exemple. Et si les prêts garantis par l’Etat (PGE) ont bien fonctionné, ils n’en restent pas moins une dette à rembourser. L’exonération de charges en tout ou partie semble alors être le seul moyen de ne pas plus fragiliser certaines entreprises.
Et au sein de votre entreprise Tenthorey, quel est l’impact immédiat de cette période de confinement ?
Notre activité de fabrication de tissus et de sacs textiles a dû être stoppée durant trois semaines en début de confinement, avec des salariés au chômage partiel. Depuis début avril l’activité a repris à 100%, notamment avec la fabrication de masques grands publics, dans la dynamique de la filière et du groupement Savoir Faire Ensemble, mais aussi sur notre activité de fabrication plus classique. Nous avons également eu recours à un PGE pour garantir notre situation financière le plus durablement possible.
La difficulté aujourd’hui réside dans le manque de visibilité, et la gestion de l’incertitude. Si le carnet de commandes n’est de loin pas vide à ce jour, il est en tous cas incertain : certains secteurs que nous pensions peu enclins à commander le font, d’autres attendent, toutes les données sont faussées par la crise. Cela rend la prise de décision extrêmement difficile.
Au-delà de la pédagogie nécessaire à déployer auprès du consommateur final et des acheteurs privés et publics, quels sont les actes forts que vous espérez obtenir des institutions pour soutenir le textile français ?
Nos entreprises ont besoin de garder ou de retrouver un certain niveau de trésorerie, et cela implique nécessairement une baisse des charges de production : C3S, impôts fonciers, CFE, VAE…tous ces impôts pèsent sur l’avenir économique des industriels. En France, les impôts de production représentent 3,2 % du PIB, contre 1,6 % en moyenne en Europe et 0,6 % en Allemagne. Il faut donc absolument arriver à les diviser par deux sur notre territoire ! Le Plan de Loi de Finances 2021, qui sera discuté à l’automne prochain », ne peut faire l’impasse sur ces problématiques, le signal doit être très fort, et les discours doivent se transformer en décisions et en actes. Il n’y a pas d’autres choix si l’Etat souhaite réellement maintenir une politique de production industrielle sur le territoire, voir l’accentuer et permettre les relocalisations si souvent promises mais toujours attendues.
D’autres leviers fonctionnent bien, comme le crédit d’impôt recherche, qui faut maintenir, ou le crédit d’impôt collection qu’il faudra sans aucun doute pérenniser et renforcer pour soutenir l’activité de la filière habillement nationale. Au niveau européen, augmenter le montant fixé par le règlement de minimis concernant les aides aux entreprises, actuellement de 200 000 euros maximum, serait également un moyen certain de financer la relance économique. Il est nécessaire que les entreprises puissent dépenser, car si nous sommes au milieu du gué, la rive de la reprise est encore loin.
Enfin, une plus grande cohérence dans la mise en place de mesures de soutien sectorielles serait fortement souhaitable. Pour exemple, des mesures destinées à la relance du tourisme ont été étendues aux activités de blanchisserie, notamment pour le linge hôtelier, mais excluent toujours les industriels fabricants ce même linge. Le signal envoyé aux acteurs économiques n’est donc pas très encourageant à date, souhaitons que cela change dans les prochaines semaines.
Vous vous exprimiez l’année dernière sur « la frappante nécessité d’accélérer le rythme de la transition écologique et de la transition numérique ». L’accélération de ces transitions va-t-elle être exacerbée face à cette crise sans précédent ?
Espérons-le ! La transition écologique est nécessaire si nous souhaitons réellement pouvoir freiner notre impact sur notre environnement. C’est en cela que privilégier l’achat de textiles français, ou européen, est un pas important pour préserver notre planète, en privilégiant des circuits courts à l’impact carbone moindre, mais également des process de fabrication respectueux des réglementations contre les polluants chimiques parmi les plus drastiques au monde. Nous travaillons d’ailleurs en collaboration avec plusieurs acteurs, comme le Comité de filière Mode et Luxe, l’IFTH, les pôles de compétitivité, pour ne citer qu’eux, sur l’économie circulaire, incluant les problématiques de recyclage, et d’éco-conception par exemple. Ce travail est engagé sur le long terme.
Si les médias, et par ricochet une large partie de la population, peuvent encore relayer l’idée que l’industrie mondiale de la mode est le deuxième secteur le plus polluant au monde, ce n’est certainement pas le cas au sein de nos usines, qui sont extrêmement contrôlées, et au sein desquelles des stratégies et des investissements en faveur du développement durable et de les responsabilité sociétale sont largement mis en œuvre depuis plusieurs années pour limiter l’impact de l’activité sur l’environnement, économiser les ressources, sauvegarder les emplois, etc.
Concernant la transition numérique, qui concerne cette fois plutôt l’aval de notre filière, nombre d’entreprises ont déjà avancer sur le sujet, en particulier dans le domaine de l’e-commerce, ce qui pour un certain nombre d’entre elles leur a permis de garder une partie de leur activité durant la période de confinement. Les chantiers que nous avons à engager pour demain sont nombreux, et concernent plutôt l’intelligence artificielle, les échanges de données et le big data, l’automatisation renforcée pour la compétitivité des chaînes de fabrication, mais aussi la généralisation des cabines d’essayage virtuelles ou encore la reconnaissance numérique des étoffes pour lutter contre la contrefaçon. Ces chantiers nécessiteront un accompagnement des collaborateurs et des formations adaptées à la transition de nos industries, et seront-elles aussi au service d’une compétitivité accrue du textile français.
Propos recueillis par N. Righi – 07/07/2020