Bien-être animal, pollution industrielle, production éthique, et une quantité de déchets alimentaires qui devrait en effet augmenter parallèlement à l’augmentation prévue de la population mondiale, qui devrait atteindre 9,6 milliards d’ici 2050. L’industrie du textile et de l’habillement s’intéresse donc de plus en plus à de nouveaux paradigmes de production des matières premières, adoptant une réflexion plus durable et engagée.
Parmi les innovations, la culture en laboratoire et le recyclage permettent des avancées assez considérables. En 2016, Des chercheurs de la City University of Hong Kong (CityU) en partenariat avec le Hong Kong Research Institute of Textiles and Apparel Limited (HKRITA) déposaient un brevet sur une technologie permettant de transformer les déchets alimentaires en fibre textiles. Notamment en 2016, un brevet été déposé protégeant un procédé de synthèse en 3 étapes permettant de passer de déchets alimentaires riches en sucre à des fibres polymères de PLA (Acide polylactique).
La réutilisation de déchets alimentaires afin de créer des tissus et fibres avec un impact environnemental moindre, ou bien couplées à des bactéries pour développer de nouvelles matières innovantes, semble donc en prometteuse et plein essor, mais quelles sont ces nouvelles matières ?
La plus récente : la laine de coco
Nous en parlions en 2018, la firme australienne Nanollose, fabrique des tissus à base de cellulose microbienne. Initialement développée comme une alternative à la laine, la fibre, dénommée Nullarbor est fabriquée à partir de la fermentation de déchets de noix de coco liquides, mises en cultures avec des bactéries.
La firme possède une usine de prototypage en Indonésie, et cherche à perturber le secteur traditionnel de la production de fibres de rayonne grâce à sa technologie brevetée qui permet de développer les fibres à partir de la fermentation de déchets organiques liquides, la technologie étant également applicable à d’autres déchets tels que les résidus de bière et la mélasse.
Nanollose revendique la non-utilisation d’arbres dans sa chaîne de production et utilise des déchets afin de fabriquer la fibre Nullarbor. Le processus requiert par ailleurs très peu de ressources, d’eau ou d’énergie en comparaison de la production classique de rayonne ou de coton, et se situe donc à l’intersectionnalité des préoccupations pour le bien-être animal et l’environnement.
La plus connue : le cuir d’ananas
Le « cuir » d’ananas, ou Piñatex a connu une popularité rapide dans l’industrie de la chaussure, se présentant comme une alternative végétalienne et durable au cuir animal. Ce simili cuir a connu une phase de développement de 7 ans, initié par la compagnie britannique Ananas Anam, utilisant les fibres des feuilles d’ananas, sous-produits de l’industrie de l’ananas. Les fruits sont récoltés aux Philippines, leurs fibres y sont ensuite extraites et envoyées à Barcelone, en Espagne, où une entreprise textile les transforme en Piñatex. Les fibres sont extraites par un processus de décortication, puis sont ensuite dégommées et transformés en mailles non tissées – qui subissent finalement un processus de finition leur donnant une texture similaire au cuir.
Par ailleurs, la production fonctionne en circuit quasi-fermé, les résidus des feuilles étant utilisés comme engrais ou bio-carburant.
La plus primée : le cuir de raisin
Avec 18% de la production mondiale, l’Italie est l’une des plus grandes terres viticoles. Une réalité qui n’a pas échappé à la firme italienne Vegea, qui a donc décidé de mettre à profit ce patrimoine.
Aussi les nombreux résidus de grains et de peaux issus de la transformation du raisin (le marc de raisin en somme) sont utilisés afin de créer un “cuir” très résistant qui convient tout aussi bien à l’industrie de la mode, de la décoration ou de l’automobile.
L’entreprise italienne s’est par ailleurs vue décerner le prix Global Change Award par le groupe H&M pour l’alternative innovante qu’elle propose et a reçu un prix de l’innovation 2017 des PETA fashion Award.
La plus mode : la fibre d’orange
En 2017, le groupe Salvatore Ferragamo lançait une collection avec Orange Fiber, société italienne fondée en 2014 par par Adriana Santanocito et Enrica Arena. L’entreprise a pour objectif de créer des textiles durables pour l’industrie de la mode, utilisant des déchets d’agrumes : plus de 700 000 tonnes de déchets industriels sont produits en Italie par la transformation d’agrumes dans l’industrie agro-alimentaire.
Les premiers prototypes ont donné lieu à un tissu mélangé avec de la soie et un autre mélange plus semblable au satin, et ont été présentés en 2014. En 2015, l’entreprise gagnait le prix Global Change Award par le groupe H&M, tandis qu’en 2018 les deux fondatrices recevaient le prix Most Influential Innovative Women Award Italia 2018 âgées de moins de 40 ans.
La plus innovante : le cuir de pomme
Là encore à l’intersectionnalité entre la lutte contre les déchets, le cuir de pomme est issu de l’industrie agroalimentaire (jus de pomme et compote). Comme le rapporte le blog www.veganfashionventure.com, en 2004, dans le Tyrol, Alberto Volcan s’intéresse au recyclage des pommes. Soutenu par la province de Bolzano et le Merloni Spa, ses premiers prototypes de cartamela (papier-pomme) sont financés – mais le projet prend réellement de l’ampleur lorsqu’il s’associe à la start-up Frumat, spécialisée dans le recyclage de déchets.
Le papier a été la première application au recyclage des déchets de pommes. Dans les deux ans qui ont suivi Frumat a étendu sa gamme en développant un papier kraft, des mouchoirs et du papier toilette, jusqu’à aboutir après plusieurs essais à une panoplie très large de cuirs, de plusieurs épaisseurs et aux rendus multiples. Frumat a été récompensé du prix de la Technologie et de l’Innovation de Green Fashion Carpets de Milan en 2018.
Le cuir de pomme a notamment été utilisé par la marque brésilienne Zilver, et la marque Po-Zu devrait introduire des cuirs de pommes dans ses collections pour l’automne 2019.
La pus douce : les protéines de lait
À Prato, en Italie, la créatrice de mode italienne Antonella Bellini transforme de manière créative du lait gâté en vêtements.
Tandis que selon l’Association agricole italienne, le pays gaspille plus de 30 millions de tonnes de produits laitiers chaque année, la société Duedilatte basée en Toscane utilise le lait perdu en récupérant les produits laitiers périmés dans les fermes locales.
Le processus a commencé avec un lait chauffé à une température précise de 122 degrés Fahrenheit, puis de l’acide citrique est ajouté pour séparer le lactosérum (la partie liquide du lait) de la protéine. La protéine de caséine recueillie dans le lait sera filtrée, séchée et broyée en poudre. Cette poudre est transformée en fibre, qui est ensuite tordue, filée et tissée. Les teintures utilisées sont là encore naturelles, telles que la myrtille ou l’oignon rouge.
Habituellement, un t-shirt prend moins d’un demi-gallon (moins de 2 litres) de lait à fabriquer. L’invention n’est pas nouvelle cependant puisque dans les années 1930, la fibre de lait était inventée comme alternative à la laine dans l’Italie fasciste de Mussolini. Les produits subissaient cependant un traitement chimique lourd, et étaient renforcés au formaldéhyde par exemple.
A noter que depuis 2011, la société allemande QMilch GmbH a développé une fibre issue de la caséine de lait, la QMilk® et a également élargi la technologie aux cosmétiques ou aux bio-polymères.
La plus résistante : la fibre de carotte
Des ingénieurs de l’université de Lancaster au Royaume–Uni ont travaillé en collaboration avec la société Cellucomp Ltd UK pour étudier les effets de l’ajout de «nanoparticules» extraites des fibres des légumes-racines telles que les carottes pour améliorer les performances des mélanges de béton. En effet il a été démontré que l’usage de nanoparticules issus des fibres de ces légumes amélioraient la résistance du béton, à moindre coût. L’usage de ces nanoparticules présente une alternative aux additifs de ciment habituels tels que le graphène ou les nanotubes de carbone. D’après le site spécialisé Archicree,
« Le potentiel des bétons composites végétaux réside dans la capacité des nanoparticules à augmenter la quantité de silicate hydraté de calcium dans les mélanges de béton , qui est la principale substance contrôlant les performances structurelles. L’effet d’entraînement signifie que de plus petites quantités de béton seraient nécessaires pour la construction. De plus, les nanoparticules pourraient améliorer la qualité du produit, réduisant ainsi le nombre de fissures apparaissant dans le béton. Une microstructure plus dense aide également à prévenir la corrosion et à augmenter la durée de vie des matériaux. »
Si dans le domaine du textile, la carotte et ses résidus sont utilisés pour les teintures, on pourrait tout à fait imaginer des applications de la technologie mentionnée aux tissus, par exemple pour la création de fibres textiles résistantes aux chocs et à l’usure.
Pour conclure, les découvertes sont trop nombreuses pour faire l’objet d’une liste exhaustive : on pourrait encore citer la soie de bananier, le S.Café® développé par L’Herbe Rouge ou encore aux nouvelles matières non-tissées à base de coquille d’œuf et du PLA de maïs et de betteraves issus des recherches de divers centres de recherche dans le monde. Le secteur s’annonce en tout cas très prometteur…
-20/03/19-